Management stratégique de l'emploi

Rassemblement de personnes et pas seulement de biens, les entreprises participent aussi à la fonction sociologique du travail. Forme sociale structurée par des relations de pouvoir, l'entreprise assure la coopération des individus à une oeuvre commune. Elle établit entre eux des relations privilégiées et permet leur intégration dans des réseaux sociaux (1).

Le travail, enfin, est un moyen d'accomplissement individuel. C'est le lieu de l'expression de soi et la condition d'accès à la citoyenneté. Dans la tradition occidentale, il permet à chacun de se réaliser et d'exprimer sa pleine humanité. " Un homme n'est pas pauvre parce qu'il n'a rien, mais parce qu'il ne travaille pas " (Montesquieu). Pour être reconnu socialement il faut pouvoir monnayer sa force de travail.

Cette variété des contenus de l'activité laborieuse est la source de difficultés sérieuses pour les responsables de la gestion. Aucun n'échappe à la nécessité d'utiliser des ressources humaines. Le travail figure au premier rang des moyens à mettre en oeuvre pour déterminer l'orientation d'une entreprise et la guider vers ses objectifs. La pensée managériale lui accorde désormais une place de choix (2).

Synthèse en construction, les sciences de gestion sont loin d'avoir découvert les moyens d'action sur les choses et les modes de gouvernement des hommes efficaces en toutes circonstances. Une démarche fréquemment préconisée pour améliorer la performance des entreprises est l'insertion de la gestion dans une perspective stratégique. Avant d'étudier les méthodes permettant d'envisager une telle tentative dans un domaine particulier le management de l'emploi des ressources humaines -, notre propos introductif visera tout d'abord à spécifier le cadre de l'étude (3), le théâtre et ses acteurs dans un paragraphe premier. Il est le lieu d'élaboration et de mise en oeuvre des modes de gestion des ressources humaines dont nous résumerons l'évolution et la portée dans le second paragraphe.

Le blocage de la dynamique de l'organisation du travail a souvent été considéré comme l'une des principales causes de la " crise " des économies de marchés, commencée vers 1975 (4). L'usage répété du mot crise est fallacieux. Au sens strict, il désigne une phase grave dans l'évolution des événements, un changement subit et décisif, une manifestation soudaine et violente, un point de retournement de la production pour les conjoncturistes, le passage de l'expansion à la dépression. Un phénomène qui s'étend sur un quart de siècle ne peut pas être ainsi baptisé.

La permanence de ce vocable erroné n'a d'autre justification que politique. Il induit la croyance au rétablissement de l'ordre antérieur des choses et contribue à faire accepter par les citoyens des sacrifices supposés temporaires.

Les préceptes de gestion issus du modèle sociotechnique fordien sont aujourd'hui considérés comme contre-productifs. Ils sont en porte-à-faux par rapport aux tendances macroéconomiques et aux exigences sociales. Ils pourraient être résumés ainsi : organisation centralisée, relations industrielles antagonistes, mécanisation d'usines de grande taille où l'investissement surtout matériel est principalement orienté vers la réalisation d'économies d'échelles, fabrication à coûts décroissants de biens standardisés de qualité moyenne, vente de ce que l'on a déjà produit en poursuivant un élargissement de la part de marché.