Ebook recette cuisine : Petit traité du pois chiche

Elle a commencé où a commencé la nôtre, mais là d'où il vient, là où de son jus, pour le bonheur des Hommes, les premiers pressoirs ont été actionnés, les premières jarres, les premières amphores ont été remplies, il a été éradiqué ! Plus un cep ne peut témoigner qu'il y a près de 10 000 ans, on le cultivait déjà là-bas. Les Hommes, ingrats, l'ont renié : leur nouvelle religion a été jusqu'à l'interdire, alors qu'il était là bien avant elle. Si ça aussi c'est pas misère...

Je regarde et je suis fier : je suis fier du chemin parcouru par nos ancêtres. Grâce à eux, grâce aux Anciens qui les ont conseillés, c'est ici que je suis né : la France est le pays de mon enfance, une terre pour moi bercée de tendre insouciance. Il me faut le raconter aux jeunes, à ceux qui prendront ma place quand je ne serai plus qu'un pois parmi les autres dans un sac en plastique cousu d'une tonne, ou c'est moins prestigieux mais tout aussi délicieux dans un sachet de farine : nous faisons partie d'une très ancienne famille, ils doivent en être aussi fiers que moi qui le sais, je le suis.

Nul besoin pour être appréciés de renoncer à notre identité : elle est notre force. Elle est notre personnalité. Sans elle, nous ne sommes plus rien. Notre place n'est pas dans le boeuf en daube ou dans la blanquette de veau, le poulet dominical doit mijoter sans nous, la choucroute et le cassoulet aussi. Le navarin ne gagnera rien à la fin de ses haricots. Nous n'avons pas à rêver d'être apprêtés à la mode de Caen ou d'être appelés pour remplacer nos cousins tarbais dans le cassoulet (même si nous en sommes parfaitement capables) : nous n'avons pas vocation à jouer les seconds couteaux ! Tel n'est pas notre rôle en cuisine...

Voyez notre cousin Phaseolus : qui aujourd'hui le sait natif du Pérou et du Mexique ? Il s'est si bien assimilé partout où il s'est installé qu'on le croit volontiers né en Vendée, à Paimpol ou à Soissons. Nous n'avons jamais contrairement à lui qui, je le sais, le regrette perdu notre caractère exotique : nous n'avons jamais accepté de renoncer à notre méditerranéité.

Nous ne l'accepterons jamais ! Du moins, je l'espère, mais je ne serais sûrement plus là quand la question de nouveau se posera... Phaseolus, les Aztèques l'appelaient ayacotl et les Incas purutu (les Aztèques parlaient le nahuatl qui nous a donné chocolat, tomate, cacao et cacahuète et les Incas le quechua : nous lui avons emprunté alpaga, lama, puma, pampa et coca).

Phaseolus, à l'origine, était sauvage, comme toutes les plantes (même si, maintenant civilisées, elles ont parfois du mal à l'admettre). Les Hommes l'ont apprivoisé et enfermé dans leur potager, d'abord en Amérique du Sud puis en Amérique centrale : on retrouve des traces de cette domestication en 7 000 av. J.-C. au Pérou et en 4 000 av. J.-C. au Mexique.

Il est toujours par là-bas très cuisiné : n'est-il pas du Chili con carne l'incontournable ingrédient ? Ne tient-il pas dans la cuisine tex-mex (créée par les cowboys après la guerre de 1870 entre Mexicains et Américains sur la base de la cuisine hispano-aztèque) un irremplaçable premier rôle ?