La démocratie a-t-elle des frontières?

Les piliers de la démocratie sont-ils chacun des zones de front avec d'un côté des " ayants droits " et de l'autre les " sans " ? La démocratie est-elle détentrice d'une idéologie à vocation universelle qu'elle souhaite étendre à tous ? Est-elle poreuse ou imperméable à tout ce qui lui est extérieur ?

Le 20 janvier 1961, Kennedy devient le 35e président des États-Unis, et le premier président catholique dans l'histoire du pays. Dans son allocution au Congrès, il précise les objectifs de sa politique de la " Nouvelle Frontière " : départ vers de nouvelles frontières, compromis honorable avec l'Union soviétique, fermeté dans la défense de la liberté, encouragement de la démocratie dans le monde par une politique généreuse d'aide au développement.

Ce concept de Nouvelle Frontière ne désignait pas un lieu mais un état d'esprit destiné à résoudre les problèmes graves que connaissaient les Etats Unis au début des années 60: ségrégation raciale et retard sur les soviétiques dans la conquête spatiale notamment. Dans le cadre de l'opposition idéologique avec l'union soviétique, la " nouvelle frontière " symbolisait le désir ardent de la paix et la démocratie dans le monde entier. Une façon d'implanter la démocratie libérale, et plus particulièrement en Asie, zone que Kennedy avait identifié comme stratégique. Il s'agissait en effet d'un moyen d'encerclement idéologique de l'URSS.

Au moment de l'implosion de l'URSS, Francis Fukuyama écrit dans son article La fin de l'histoire : " Il se peut bien que ce à quoi nous assistons, ce ne soit pas seulement la fin de la guerre froide ou d'une phase particulière de l'après-guerre, mais la fin de l'Histoire en tant que telle : le point final de l'évolution idéologique de l'humanité et l'universalisation de la démocratie libérale occidentale comme forme finale de gouvernement humain ". Selon lui, nous aurions atteint le point final de l'évolution idéologique de l'humanité et l'universalisation de la démocratie libérale occidentale comme forme finale de gouvernement humain.

Dès lors, avec la disparition de l'adversaire et son modèle alternatif, la zone de contact avec celui-ci disparaissait par la même occasion, la démocratie semblait avoir repoussé ce qui pouvait constituer ses frontières géographiques et ses opposants théoriques. La délimitation artificielle que constitue la frontière avait perdu son sens : les deux côté ne se singulariseraient plus par leur souveraineté, le peuple était au pouvoir de chaque côté, le système politique était le même.

Toutefois la fin de l'histoire avait déjà été annoncée par Hegel lors de la victoire des troupes Napoléoniennes à Iéna, Hegel y voyant l'universalisation des idéaux de la révolution française. Comment doit-on apprécier cette " nouvelle fin " de l'histoire ? Qu'en est-il de ceux qui ne vivent pas en démocratie, doivent-ils se satisfaire de l'idée que, son concept est universellement admis ?

La démocratie athénienne était dès l'origine source d'inégalités. Les affirmations de Thucydide dans La guerre du Péloponnèse semblent angéliques " Notre constitution est un exemple à suivre. Du fait que l'Etat, chez nous, est administré dans l'intérêt de la masse, et non d'une minorité, notre régime a pris le nom de démocratie. En ce qui concerne les différends entre particuliers, l'égalité est assurée à tous par les lois ; mais en ce qui concerne la participation à la vie publique, chacun obtient la considération en raison de son mérite, et la classe à laquelle il appartient importe moins que sa valeur personnelle. Enfin, nul n'est gêné par la pauvreté et par l'obscurité de sa condition sociale ". Cependant la participation à la vie publique n'était pas permise aux femmes, elle était le monopole des " libres ", citoyens de la " cité ". Le principe de frontière dite intérieure existait déjà.