Exposé : Faut-il savoir oublier ?

Publié par : Saywhat

Exposé : Faut-il savoir oublier ? • L’oubli, mesure de la mémoire .On ne peut pas se souvenir de tout : une mémoire intégrale serait insupportable et ne peut avoir aucun « sens ».Un homme qui serait incapable d’oublier « verrait tout se dissoudre en une infinité de points mouvants et finirait par se perdre dans le torrent du devenir » (Nietzsche, Considérations inactuelles). Dans l’une de ses nouvelles, Funes el memorioso, l’écrivain argentin Jorge Luis Borges a imaginé un personnage qui retient ainsi la totalité de ce qu’il a vécu et le décrit comme une expérience effrayante. Selon P. Ricoeur, c’est la raison pour laquelle il existe un besoin d’oubli vraiment salutaire


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* L'atteinte à la fiabilité de la mémoire. La sélection est nécessaire : Mémoire et oubli vont de pair. Se souvenir c'est oublier quelque chose puisque c'est déplacer le regard rétrospectif et recomposer un paysage du passé. Il existe un oubli volontaire qui permet ce que Nietzsche avait appelé dans la Généalogie de la morale, la force de l'oubli et qu'il voie lié à la possibilité de faire des promesses. Hannah Arendt utilise ce thème à propos du pardon : Il faut pouvoir se délier pour se lier et donc faire promesse. Il y a ainsi un usage éthique de l'oubli : parce que le passé n'est pas seulement ce qui est arrivé, c'est aussi la charge du passé, le poids de la dette. En ce sens, il y a une fonction allégeante de l'oubli qui nous décharge du poids du passé pour ne pas qu'il devienne le fossoyeur du présent. Le nouveau doit avoir une place si on accorde une valeur réparatrice à l'oubli ; on ne peut pas porter indéfiniment des plaies, il faut cicatriser.


* Le rôle politique de l'oubli. Dans la vie politique la mémoire a des fonctions inévitablement politiques. Comme le rappelait Renan, il existe aussi un devoir d'oubli: l'oubli est nécessaire et inévitable car il n'y a pas de fin de l'histoire. Par conséquent, il existe des politiques de l'oubli qui ont pour objectif explicite de rayer certains événements de la mémoire collective afin de construire l'avenir. Ainsi, les harkis ont été les victimes d'une gestion politique de la mémoire. Témoins vivants de la guerre coloniale pour les français et voués à jouer le rôle de traîtres pour les algériens, leur existence a été niée par deux mémoires nationales.


* L'Oubli institutionnel. Il est essentiellement en rapport avec la sanction, la peine. Celle-ci comporte deux chose : dire le droit, mais aussi punir, ajouter une souffrance à la souffrance. L'exemple le plus immédiat est l'amnistie, dont la finalité de l'amnistie est la réparation des blessures du corps social. Cette problématique remonte à la tragédie grecque et à la pratique de l'oubli à Athènes, mais appartient aussi à une tradition républicaine qui a pour fonction de ressouder le tissu social et national après un conflit interne. Elle s'est appliquée à de nombreux conflits sociaux et surtout à l'occasion de la plupart des conflits politiques qui ont émaillés l'histoire de la France : la commune, l'Affaire Dreyfus, le défaitisme révolutionnaire, Vichy... Elle ne signifie pas qu'il y a oubli au sens commun du terme, mais que l'Etat décide d'effacer le rappel public d'un conflit antérieur. En effet, une société ne peut indéfiniment être en colère contre une partie d'elle-même. L'amnistie se justifie pour laisser le passé au passé et donner une nouvelle chance au présent.


* La reconnaissance, visée de fidélité de la mémoire : " le devoir de mémoire est le devoir de rendre justice, par le souvenir à un autre que soi. ".Face aux injonctions actuelles selon lesquelles il est un nouvel impératif catégorique qui relève du devoir de mémoire. Ricoeur préfère la notion de travail de mémoire. Il affirme la légitimité du " souviens-toi " de la tradition judéo-chrétienne qu'il tente d'articuler avec l'effort critique du logos. L'Histoire, plus objectivante, plus impersonnelle est la restitution d'un passé (une anamnèse c'est à dire une remise en mémoire). Elle peut ainsi par un détour heuristique contribuer à transformer la mémoire malheureuse en mémoire heureuse. Si l'histoire permet de sauver les actions humaines de l'oubli (Arendt), il y a une coupure entre la mémoire et l'histoire, qui s'effectue par le biais de l'écriture. Si on reprend le mythe de l'invention de l'écriture comme pharmakon dans le Phèdre de Platon ; par rapport à la mémoire l'écriture est à la fois remède, protégeant de l'oubli et poison dans la mesure où elle risque de se substituer à l'effort de mémoire. L'histoire peut objectiver les mémoires particulières en mémoire collective.


* Mémoire collective et deuil personnel. Halbwachs pense que toute mémoire individuelle cristallise dans un cadre social et que les événements publics laissent une grande empreinte sur leurs contemporains. Les mémoires sont à la fois individuelles et privées. Les collectivités, elles, sont rarement tentées par un oubli radical du mal dont elles ont été victimes. Les Afro-Américains d'aujourd'hui ne cherchent pas du tout à faire oublier le traumatisme de l'esclavage dont ont souffert leurs ancêtres. Ainsi, les pathologies collectives de la mémoire peuvent se manifester par des situations de trop plein de mémoire et de situations contraires d'absence de mémoire. On se confronte dans certains cas à un passé qui ne veut pas passer et dans d'autres à des attitudes de fuite, d'occultation consciente ou inconsciente des moments les plus traumatiques du passé. On pourrait souhaiter que, comme pour les individus, soit évitée l'alternative stérile de l'effacement intégral et du ressassement sans fin: le mal subi doit s'inscrire dans la mémoire collective, mais c'est pour nous permettre de mieux nous tourner vers l'avenir. La mémoire doit accéder à la reconnaissance, travail que Freud désignait sous le vocable de travail de deuil. C'est la visée d'une mémoire apaisée dont il faut se rapprocher au prix d'un vrai travail de mémoire qui passe par une réarticulation avec la vérité.


* La restitution du passé. La mémoire n'est pas tout le passé mais elle est du passé tout ce qui continue de vivre en nous par le fruit de l'expérience directe, du vécu, ou d'une transmission familiale, sociale ou politique. Est-il sûr pour autant qu'il suffise de se souvenir du passé pour éviter qu'il ne se répète ? C'est plutôt le contraire qui se produit le plus souvent: c'est dans un passé d'ancienne victime que l'agresseur actuel trouve ses meilleures justifications. Les nationalistes serbes les ont trouvé dans la défaite subie contre les Turcs dans les champs du Kosovo au XIVe siècle. Hitler trouvait, dans le rappel de l'humiliant traité de Versailles, à la fin de la Première Guerre mondiale, des arguments pour convaincre ses compatriotes qu'il fallait une revanche. Ceux qui n'oublient pas le passé risquent de le répéter aussi, en changeant de rôle: rien n'empêche l'ancienne victime de devenir à son tour agresseur.


* Justice et soulagement du passé. Les débats collectifs sur le passé fondent une démocratie qui devrait accepter de reconnaître ses erreurs, ses fautes, ou ses crimes. La politique a aussi une dimension morale. Assumer son passé- non pas tout son passé mais celui qui a un sens aujourd'hui - fait partie des conditions de la pratique démocratique. Le trop plein de passé peut être aussi polémique que le déni du passé. Il faudrait en ce sens non pas oublier les crimes du passé ou vivre sans le souvenir ou contre le souvenir mais apprendre à vivre avec eux. Avant de tourner une page, disait au lendemain de la chute du communisme celui qui était devenu président de la Bulgarie, Jélu Jélev, il faut la lire. Quand la vérité est dite, la nécessité de rendre justice devient évidente. Il est très important d'établir la responsabilité pénale des chefs politiques ou militaires à l'origine des exactions commises. Ce faisant, la justice reconnaît au moins un statut aux victimes et restaure, dans une certaine mesure, leur dignité. Alors, il convient de se demander s'il y a de l'imprescriptible ? la notion de crime contre l'humanité semble répondre positivement. La justice empêche aussi de s'engager dans un projet de vengeance, transmissible de génération en génération. Il s'agit d'un effacement actif en vue selon Hannah Arendt de la possibilité de continuer l'action. La lutte de l'homme est la lutte de la mémoire contre l'oubli, cette formule de l'écrivain tchèque Milan Kundera nous indique que le besoin de mémoire est une exigence fondamentale de la conscience humaine.



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09/01/2013


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Français


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