Exposé - Europe : mythe ou réalité ?

Pour répondre à toutes ces interrogations, il convient dans un premier temps de définir le concept d'Europe, d'en préciser les origines et l'histoire, afin d'en dégager le contenu. Du mythe controversé de la déesse Europe à l'expérience communautaire, il s'agit de comprendre la création et l'évolution d'un terme aux multiples facettes. Dans un deuxième temps, il s'agit de se prononcer sur la capacité de l'Union européenne à construire une identité propre et à réaliser le mythe européen.

" Europe " est un terme issu de la très haute Antiquité, dont la signification est sujette à polémiques. Pour certains, il s'agit alors d'une réalité géographique, désignant une petite région d'Asie (Aristote la situe dans le monde barbare). Pour d'autres, elle est avant tout rattachée au mythe de la déesse Europe. Dans la mythologie grecque, la princesse Europe est originaire de Phénicie, elle est séduite par Zeus qui se présente à elle sous la forme d'un taureau blanc et qui l'emmène sur son dos jusqu'en Crète, d'Orient en Occident. Les trois frères se lancent à sa poursuite jusqu'en Grèce, en vain. Pourtant, le lien entre l'enlèvement de la princesse et le continent n'est pas évident, puisque Hérodote lui-même conteste cette association1. Il reste que la déesse Europe représente la mère nourricière du monde, un symbole de l'abondance, une représentation de valeurs qui restent présentes jusqu'à aujourd'hui dans la quête d'une identité européenne.

Dans l'Antiquité, le terme d'Europe recouvre principalement une réalité géographique. Au premier siècle, le géographe Strabon fait aller l'Europe jusqu'à l'Atlantique. En grec, Europe signifie " celle qui voit loin ", mais pourrait aussi désigner, dans la langue sanscrite, " le pays où le soleil se couche ", par opposition à l'Asie.

Déjà présent dans l'Antiquité, le terme d'Europe est tout d'abord assimilé à un continent, à un territoire dont les contours restent flous. L'Histoire rapporte les différentes tentatives d'unification du continent européen, qui ne prennent le nom explicite d'Europe. Il s'agit par exemple de la réalisation de l'empire romain, de la notion de Saint Empire germanique au Moyen Age ou celle de Chrétienté.

Mais le concept d'Europe n'acquiert une signification politique qu'au XVIIe et XVIIIe siècle avec la constitution de l' " équilibre européen " entre les Etats-Nations en cours de formation, c'est à dire après la signature des Traités de Westphalie en 1648, qui mettent un terme au conflit religieux entre protestants et catholiques. C'est alors que le terme d'Europe remplace celui de Chrétienté pour désigner l'ensemble des relations entre Etats souverains, dont l'équilibre se matérialise par la fixation officielle des frontières. La notion d'Europe est alors étroitement associée à celle d'Etats (Etats-Nations) et de souveraineté. Il ne s'agit pas d'une unité politique mais d'un système composé de multiples entités en rapport les unes avec les autres.

Réalité géographique, continent aux frontières incertaines, système international basé sur les concepts de souveraineté et de Nation, le terme Europe ne cesse de fluctuer au cours des siècles, et va progressivement évoluer vers la définition d'un héritage commun de valeurs.

Dans son ouvrage " l'Anthropologie d'un point de vue pragmatique " de 1798, Kant s'interroge sur la nature de l'Europe. Il réfute l'idée d'un continent européen aux limites définies. Pour lui, l'Europe est avant tout l'espace dans lequel le projet d'universalisation de la loi a pris naissance, où s'est réalisée pour la première fois la combinaison dans un corps politique de la liberté et de la contrainte légale. Toute Nation qui réussit cette combinaison est de fait européenne. Kant introduit ici une idée cosmopolitique de l'Europe, qui empêche la délimitation de frontières. Il ne s'agit de mettre en place un Etat supranational mais plutôt une ligue des peuples, une association d'Etats démocratiques. L'Europe n'a pas vocation à devenir une puissance comme les autres, ce qui exclut tout impérialisme, mais elle doit propager les idéaux de respect des droits de la personne, des libertés démocratiques. L'idée kantienne traduit bien l'idée moderne d'Europe, c'est à dire un ensemble de valeurs, de libertés et de droits à portée universelle.