Dissertation : Le monde est-il divisé entre espaces de guerre et espaces de paix ?

Nous verrons que le monde n'est non pas divisé mais uni dans une situation de guerre permanente, n'épargnant aucune zone géographique (I). Cette unité d'apparence pourra être remise en cause à partir du concept de paix négative qui permettra de mettre en valeur une zone de front clairement identifiable au sein de l'espace mondial (II).

Le concept de guerre est difficilement appréhendable et il n'existe pas de définition consensuelle de celui-ci. Clausewitz écrit dans " De la guerre " : " la guerre n'est rien que la continuation de la politique par d'autres moyens " et affirme la subordination de la guerre au politique qui l'encadre et la limite. La guerre serait donc ce moment politique et historique où le rapport entre le droit et la force s'inverse. Cette vision a donc pour extension la vision de Rousseau dans le " Contrat social " ou de Freund dans " Politique et impolitique " qui affirme que la guerre est une relation d'Etat à Etat et non une relation d'homme à homme. Les différentes organisations internationales, et l'effacement des entités nationales au profit d'entités supranationales, auraient dû participer à une nette diminution des conflits. Il n'en fut rien, l'éclatement de l'ex URSS et la disparition de la peur nucléaire a été suivi par de " nouvelles conflictualités ", ethniques, civiles, intra-étatiques, rendant caduque l'approche de Clausewitz et des grands théoriciens de la guerre. Ainsi en 1997, une publication de l'Institut International de Recherche sur la Paix d'Oslo dénombrait sur la période 1990-1995 l'éclatement de 95 guerres ayant entraîné la mort de 5,5 millions de personnes. Les purifications ethniques du Kosovo, du Rwanda et la guerre civile en Somalie ayant été les conflits les plus médiatisés. La multiplication de ces conflits intra-étatiques a abouti à une nette croissance des interventions extérieures dans ces conflits. Les groupements d'intérêts, les organisations mafieuses, ou encore les idéologues religieux deviennent des acteurs majeurs dans les nouveaux types de conflits et se substituent aux Etats. Avec l'intensification de la mondialisation et des échanges commerciaux et financiers, les Etats ont pour leur part trouvé un nouveau champ de bataille dont les armes ont radicalement changé. Les taux d'intérêts, les quotas et les taux de changes se sont substitués aux soldats, tanks, et kalachnikovs. La guerre économique est un thème récurrent aujourd'hui bien que son analyse soit difficile à développer. A cette idée de " continuation de la politique par d'autres moyens ", l'économique est venu apporté une solution supplémentaire. L'affrontement armé n'étant plus un indispensable pour imposer sa volonté face à un adversaire. Ainsi " le sage " de la réserve fédéral n'a-t-il pas hésité à utiliser l'arme du change pour sanctionner l'ensemble des exportations européennes : " le Dollar est notre monnaie, et votre problème ". Les principales devises sont devenues de véritables armes que les banques centrales manient à souhait. Une fois de plus des entités supranationales (OMC) ont été désignées afin de jouer un rôle d'arbitrage dans les conflits économiques. A ces nouvelles formes de conflit s'ajoute l'apparition ou la résurrection d'un " choc des civilisations " thèse centrale de Samuel Huntington avec une opposition entre nos démocraties libérales et le fondamentalisme religieux musulman. L'idée de troisième guerre mondiale avec un adversaire invisible est aujourd'hui communément admise.

Michael Howard dans " l'invention de la paix et le retour de la guerre " part du constat que la guerre a été la norme universelle au cours de notre histoire en s'appuyant sur Henry Maine " La guerre semble être aussi ancienne que le genre humain, mais la paix est une invention moderne ". En effet selon Howard la guerre quelque soit sa forme, participe à l'établissement d'un nouvel ordre, d'une paix positive. Les héritiers libéraux estimaient cette paix positive atteignable lors de l'effondrement de l'ex URSS, il n'en fut rien. En effet beaucoup de penseurs, à l'instar de Howard voient dans le conflit, une forme essentielle de socialisation. Georg Simmel qui a été le précurseur de l'analyse de la paix, voit en elle non pas un rêve eschatologique d'une fin dernière, mais plutôt un " état exceptionnel de la société ". Le conflit est à ses yeux une forme essentielle de la socialisation, qui ne saurait être éliminée sans faire périr en même temps les sociétés. En effet, " aucune socialisation, pas même le conflit, n'est exclusivement une forme de lutte, car elle est également une forme d'unification ". Simmel voit dans le conflit, le fondement d'une communauté future. La paix positive qui s'oppose à la conception Hobbesienne de la paix est donc d'une part un état exceptionnel et d'autre part ne constitue en rien un moteur. Un regard rapide sur les différents régimes politiques dans le monde et même sur les pôles les plus développés de notre espace mondial nous permet de réaliser que l'absolu d'ordre et de justice est plus qu'utopique.

Avec une paix positive qui ne constitue qu'un état exceptionnel, si ce n'est accidentel, et l'ensemble de l'espace mondial en proie aux conflits nouveaux, la vision dualiste d'un monde partagé entre espaces de paix et espaces de guerre semble illusoire. Afin d'identifier les raisons et les critères de division il nous faut adopter une nouvelle approche de la guerre et de la paix.

Nous avons vu précédemment qu'il n'existait pas de division pure entre espaces de guerre et espaces de paix. Pour cela nous nous sommes appuyés sur le concept de paix positive qui implique un ordre juste et acceptable. Ce concept théorique de paix positive pose problème dans le sens où il s'écarte de la réalité pratique de l'espace mondial. Des lignes de démarcations sont semblent-ils identifiables en reconsidérant notre conception de la paix.

La vision hobbesienne et weberienne de la paix nous permet d'avoir une nouvelle lecture de l'espace mondial. Selon Hobbes, la paix serait une période durant laquelle la guerre n'est ni imminente, ni effective. Weber rejoint cette idée en affirmant que la paix ne serait qu'un état qui élimine les moyens violents mais non les possibilités de conflit usant d'autres moyens. Dès lors nous pouvons identifier une première fracture assez nette au sein de l'espace mondial, avec une zone centrale qui semblerait être dispensée des conflits et une zone périphérique où les affrontements et les nouvelles conflictualités sont plus répandus.

Depuis le début des années 80, le monde dit développé et le tiers monde évoluent économiquement et socialement en sens inverse. Durant les années 90 les Etats-Unis ont connu la croissance la plus forte de leur histoire, alors que dans le même temps les pays du tiers monde (à l'exception de certains pays asiatiques) ont connu une phase de recul et de crise importante. L'indicateur significatif de ce processus de "développement négatif" est représenté par la dette. Depuis 1984, le tiers monde est exportateur net de ressources financières vers le Nord. Le monde à l'envers : les pauvres financent les riches. Le tiers monde est sans conteste en voie de marginalisation dans le développement économique et social du monde. Dès lors la frustration économique a amplifié certaines tensions préexistantes et déclenché l'éruption de conflits dans des zones périphériques. Ainsi les opérations de paix de l'ONU se sont multipliées en particulier en Afrique grand laissé pour compte du développement économique mondial. Depuis 2003, le Libéria, la Côte d'Ivoire, le Soudan et le Burundi ont nécessité l'intervention et le déploiement des forces internationales. L'Amérique Centrale, l'Afrique, le Moyen Orient et l'Asie du Sud sont les principaux berceaux de conflits armés aujourd'hui. L'espace mondial est donc le théâtre d'une séparation franche Nord-Sud dans la répartition des conflits et du développement économique.