Gotman Anne : Dilapidation et prodigalité

En fait, selon A. Gotman, la dilapidation en tant que représentation constitue un analyseur de clivages sociologiques entre deux univers : celui de la dépense (où la perte matérielle n'est pas nécessairement une ruine et la dépense n'appelle pas une contrepartie matérielle) et qui fait donc de la dilapidation une dépense symbolique ; et celui de l'économie (où la perte financière équivaut à une perte de statut et la dépense est essentiellement achat) et alors la dilapidation est assimilée au gaspillage.

Il y a une absence d'envie vis-à-vis des biens matériels. Chez Mauss1, le potlatch, et surtout le rendre, fait référence à une force spirituelle (répulsive) des choses. Pas d'autarcie comme chez Sahlins. Au contraire : interdépendance et dettes. Enfin chez Bataille2, la dilapidation apparaît comme une perte matérielle et symbolique, finalité de l'accumulation, signe de la souveraineté de l'homme sur son destin.

Le paradoxe existant autour de l'héritage est qu'il est normal de transmettre mais inconvenant de l'espérer. Dans les siècles précédents, les rapports de successions étaient arrangés (comme les mariages) tandis que dans les sociétés contemporaines, l'héritage correspond à des actes gratuits, des cadeaux, conclus pour des raisons affinitaires. L'usage actuel du silence autour de l'héritage renvoie à une désolidarisation économique des générations familiales, due notamment au salariat et la socialisation de la retraite. Le contrat intergénérationnel est sorti de la famille pour être régulé à l'échelle de la collectivité. Conséquences sont une diminution de la signification économique de l'héritage et une importance plus grande de sa signification affective. Dans ce cadre, les partages familiaux sont des analyseurs familiaux. L'héritage vu comme un don est donc une obligation du donataire mais aussi une obligation de retour (transmettre à son tour) mais surtout de recevoir. Cette dette fait de l'héritage une épreuve. D'où les deux figures de la dilapidation d'héritage : les consommateurs et les liquidateurs.

Ainsi, l'appropriation des biens hérités est une combinaison de deux logiques distinctes : celle du profit personnel et celle du culte. Apparaissent différentes dilapidations : les " petites " dilapidations qui sonnent comme l'inauguration du processus d'appropriation ; puis les véritables carrières de dilapidateurs.

Se dessine ici un premier critère de définition de la dilapidation : en effet, ce qui est en jeu est le mode d'appropriation et de réception des ressources. La dilapidation est donc un trouble du cycle du don par hypertrophie ou annulation de certains " moments " de ce cycle (donner, recevoir, rendre). Ces deux figures de la dilapidation (liquidation et consommation) renvoient aussi à deux manières de recevoir : les liquidateurs d'héritage ne prennent pas celui-ci pour n'avoir pas à le recevoir tandis que les mangeurs d'héritage le prennent sans le recevoir.

Dans cette perspective de la dilapidation comme langage de la parenté, A. Gotman examine à travers un entretien la figure et la place du cadet dans l'héritage. Dans le contexte de transmission à l'aîné, les cadets semblent pris dans un double mouvement d'exclusion de l'accès au patrimoine et d'inclusion dans le ménage parental. Exclusion et inclusion sont alors des opérateurs symboliques d'un mode de représentation de soi. A. Gotman mobilise H. Becker3 pour émettre l'hypothèse que dans le cas des cadets, la déviance (la dilapidation) naît du fait de se voir non plus comme sujet mais comme objet. En effet, les cadets sont dispensés de dette envers un circuit d'obligations qui se règle en dehors d'eux.