François Dubet et Danilo Martucelli : Dans quelle société vivons-nous ?

Les auteurs s'appuient sur ce qu'ils considèrent comme les grandes caractéristiques de la société post moderne, et essayent finalement de répondre à une question que l'on pourrait formuler ainsi : quelle action collective pour quelle société et pour quelle sociologie ?

On verra donc comment, au fil des quatre grandes parties qui constituent l'ouvrage, les auteurs tentent de questionner ce lien entre société et sociologie, notamment en s'interrogeant sur les motivations qui sont au fondement des mouvements sociaux actuels. Les parties en question sont " Grandeur et décadence de l'idée de société " (p. 21-68)

Les auteurs commencent par faire une sorte d'histoire de la modernité, de la sociologie et de l'idée de société sous-jacentes. Ils partent de l'idée de crise de la modernité pour questionner ses dimensions fondamentales. Ils aboutissent à la conclusion que " l'idée de société ne peut plus naïvement associer modernité et progrès " (p.34) et que s'il est toujours essentiel pour la sociologie de se demander ce qui relie les hommes les uns avec les autres, il ne s'agit plus de le faire dans une perspective fonctionnaliste, qui verrait dans la société un organisme social, voué au progrès. La modernité se caractériserait par une complexité et des situations d'interdépendances telles qu'elles " creusent la distance entre monde subjectif immédiat et un monde objectif trop complexe pour être appréhendé " sans une modification profonde de la sociologie (p.35). On se retrouve donc face à une idée de société qui serait passée de

la société post-moderne française, ce qui fait dire à Dubet et à Martuccelli en dernière instance que " la France reste un pays de mobilisation et d'actions collectives organisées.

Parallèlement au déclin de ce courant central qu'aurait constitué le mouvement ouvrier, il est un autre élément fondateur de la société française qui se trouve en déclin : l'identification de la société à l'Etat-nation et l'identification de cet Etat-nation à la modernité. En somme, on aboutirait à une multiplicité de moteurs de l'action collective dans la société post-moderne, et à une multiplicité des pôles de définition de cette société même.

On assisterait, par là même, à une modification de l'entité sociale pertinente pour analyser la société, c'est-à-dire qu'on aurait renoncé à une analyse fondée sur le postulat classique selon lequel " l'acteur et le système apparaissent comme les deux faces complémentaires, subjective et objective, du même ensemble " (p.43) pour passer à une sociologie post-moderne, analysant des individus donc l'unité " ne découle plus de l'unité de la société, [mais] est une activité du sujet dans un monde multiple " (p.49). L'unité du sujet devient alors " réflexive et discursive ", ou peut aussi, comme c'est le cas dans l'interactionnisme " être interprétée en termes cognitifs [dans le cadre d'une socialisation interprétée comme] un apprentissage continu de stratégies cognitives permettant de lire et d'interpréter les situations " (p.50).

Dubet et Martuccelli établissent ici une nouvelle fois une correspondance ambiguë entre l'évolution de la société et celle de la sociologie et de ses différents courants, avec l'objectif sous-jacent de montrer que finalement, les diverses théories sociologiques présentées ne se passent pas vraiment de l'idée de société mais se restreignent à certains domaines précis, et " étudient désormais des procédures de reconstruction partielles et limitées (p.53), en insistant sur des rationalités locales. On aboutirait ainsi à un rejet du concept de rôle social, considéré comme trop unifiant, au profit de celui d'expérience.