Charles TILLY : Social Movements

Un tel type d'analyse, en " allers-retours ", pose deux problèmes centraux. Peut-on d'une part parler réellement d'émergence, autrement dit d'un processus continu d'affirmation des mouvements sociaux ? Comment ne pas succomber au finalisme, comment éviter de décrire une affirmation irrépressible des mouvements sociaux comme pratique socialement disponible ? Quelle place accorder, a contrario, à la question du déclin des mouvements sociaux ? D'autre part : Comment procéder au repérage des faits historiques devant entrer en compte dans une analyse des mouvements sociaux ? Quels critères faut-il avancer, comment les justifier, comment les maintenir en accord avec les situations observés sans tomber dans ce piège ultime de la démarche historique qu'est l'anachronisme ? Tilly, aux prises avec ces tensions propres à une sociologie historique qui entend donner sa place et à la variation et à l'invariant, évite toute réponse trop tranchée. La caractérisation a priori est nécessaire, mais elle doit demeurer préliminaire, méthodologique et être appliquée en connaissance de cause aux objets (Partie I). Si une évolution globalement linéaire peut être décrite, c'est à condition d'insister sur des efforts constant d'institutionnalisation, autrement dit sur des processus historiques observables qui s'apparentent plus à une production " continuée " qu'à une production " une fois pour toute " (Partie II). Enfin, lorsqu'un paradigme, lorsqu'un un " modèle " du mouvement social peut-être dégagé, il importe de le tenir à juste distance de toute causalité simple (du type : démocratisation + essor technologique en matière d'information = mouvement social) ; et surtout, il importe de ne pas, au gré d'une clarification conceptuelle qui tend à autonomiser, sortir le modèle de l'histoire, en comptant par exemple sur une pérennité de cette réalité très historique que demeure quoiqu'il en soit le mouvement social (Partie III).

2. des répertoires d'actions, c'est-à-dire des manières concrètes d'incarner la campagne en question. Il peut s'agir de la création d'associations spécifiques, de manifestations publiques, de processions solennelles, de pétitions, de l'écriture de pamphlets, etc. Les répertoires d'actions, concept-phare de La France conteste de 1600 à nos jours (1986), sont nommés ainsi par Tilly parce qu'il veut insister sur le fait que les moyens de contester font l'objet d'appropriations successives, d'une époque à une autre, d'un lieu à un autre, d'une pratique collective à une autre, suivant une logique de disponibilité : on peut contester de telle façon parce que cette façon est en quelque sorte " entrée au répertoire " de l'action collective. (Par rapport au travail de l'historien, les répertoires invitent notamment à traquer les liens entre pratiques traditionnelles et nouvelles pratiques contestataires, à voir comment les pratiques d'un pays s'exportent, etc.) ;

" Worthiness " (respectabilité des participants), " Unity " (unité des participants), " Numbers " (importance en nombre des participants) et " Commitment " (degré d'engagement des participants). L' " exhibition WUNC "1 a une vocation aussi bien externe (vers le public) qu'interne (vers les participants eux-mêmes, c'est-à-dire comme auto-représentation) ; elle est affaire de discours (slogans, travail médiatique) mais aussi de faits : ainsi la respectabilité trouve à se fonder sur l'apparence esthétique (vêtements sobres par exemple) et sur la présence symboliquement marqué de certains personnages qui jouent le rôle de garants (dignitaires de toutes espèces, femmes avec enfants, personnes âgées, etc.) ;

C'est ce " complexe " (p.7) campagne, répertoire d'action et exhibition WUNC qui vaut pour caractérisation préliminaire du mouvement social. La définition est relativement lâche, mais a malgré tout le bénéfice selon Tilly d'écarter une confusion souvent faite par les analystes des mouvements sociaux entre les organisations et les réseaux qui donnent lieu à un mouvement social, et le mouvement social en tant que tel. Pour lui, le mouvement social est sans ambiguïté un faire, une pratique : il n'est pas une forme politique, mais une " formule politique " (" form of politics ", p.8).

Les mouvements sociaux étant caractérisés a minima, l'enquête historique peut commencer. L'un des premiers enjeux tient à la " naissance " des mouvements sociaux. Pour Tilly, s'il faut choisir un moment et un lieu pivot, ce doit être, respectivement, la fin du XVIIIe siècle, peut être les années 1760, et certainement le monde britannique d'alors, c'est-à-dire le Royaume-Uni et ses colonies américaines