Syngué sabour de Atiq Rahimi (Fiche de lecture)

Il n'y a pas de chapitres ni de sections : seulement de courts paragraphes séparés par des espaces. Cette organisation narrative renforce une impression de continuité temporelle inexorable tout en effaçant l'artifice romanesque de la mise en chapitres. Pour faciliter la lecture de ce roman, au demeurant assez court, on proposera donc une scansion en six

1. (p. 15-31). Le livre commence par la description de la chambre où se trouvent l'homme et la femme. L'homme est inconscient et la femme veille sur lui. On entend l'explosion d'une bombe, ce qui laisse deviner qu'on est en guerre. La femme prie. Elle précise que cela fait bientôt trois semaines qu'il est dans cet état (p. 20). Elle ment à ses filles en disant qu'il dort.

5. (p. 71-104). Elle se sent soulagée et appelle son homme Syngué Sabour, ce qui signifie la Pierre de patience. Selon la légende, on peut confier ses chagrins à la pierre de patience qui les absorbe, jusqu'au moment où elle éclate. Les tirs recommencent. Deux hommes entrent chez elle : un soldat et un jeune garçon. Elle se fait passer pour une prostituée afin d'éviter d'être violée. Pendant la nuit, elle mange et parle à l'homme.

6. (p. 104-138, fin). Le jeune garçon revient ensuite chez elle pour lui demander de se prostituer à lui. Elle accepte. Il revient une autre fois. Elle découvre qu'il est orphelin et qu'il a été élevé par le soldat qui se sert de lui comme objet et le torture. Elle avoue à son mari que ses deux filles ne sont pas de lui. Puisqu'il est stérile, sa famille l'a obligée à voir un sage, et ses enfants sont d'un autre homme. À ce moment, l'homme se réveille et la tue.

C'est l'héroïne incontestée. Elle soigne le mari blessé, et lui parle. Cette situation-limite lui permet enfin de s'exprimer. Elle le fait d'abord timidement, mais sa prière devient moquerie et revendication. Elle raconte son oppression sociale, sexuelle. Son monologue comprend également des séquences de souvenirs (la première nuit de noces, la solitude pendant que le mari est au front, la coercition exercée par la belle-famille). Elle vacille, partagée entre le désarroi et la revendication, la foi et le dégout révolté. Dans un crescendo de révélations, elle avoue tout ce qu'elle n'a jamais pu dire à son mari : les vexations, les secrets, la souffrance. Son rôle de mère n'a guère d'impact dans ce monologue : les filles, présentes au début du livre, disparaissent de ses discours. En revanche, sa relation aux hommes prend de plus en plus d'importance, son point culminant est le rapport sexuel au jeune orphelin de passage, doublement coupable (adultère et prostitution) doublé du souvenir de sa relation avec un inconnu pour avoir des enfants. La transgression sera punie par sa mort.

Immobile et inconscient, on ne le découvre qu'à travers le regard de la femme. Ainsi, au fur et à mesure qu'elle développe ses souvenirs, il apparait comme un personnage entièrement négatif : violent, possessif, tyrannique, absent à cause de la guerre. Il adhère aux principes extrémistes qui croient que la femme est impure et qui veulent qu'elle soit soumise à son mari. Il ne semble avoir plus rien d'humain. Son réveil brutal et l'agression qu'il commet contre sa femme confirment définitivement ce caractère. En même temps, pendant tout le récit, sa situation-limite en fait presque un non-personnage : ainsi, pour sa femme, il est transformé en cette " pierre de patience ", pierre magique à laquelle on confie tous ses chagrins.

Au début du roman, elles rôdent autour du père. Elles sont conscientes que leur père n'est pas simplement en train de dormir. Leur présence et leur regard naïf, enfantin, rendent la scène plus crue, plus éprouvante. Mais les filles ont un rôle-clé dans l'intrigue, même si elles n'apparaissent plus, car on apprend à la fin du roman qu'elles ne sont pas filles du père mais d'un inconnu. La mère a été en effet obligée de rencontrer un inconnu pour tomber enceinte, enfanter et sauver ainsi l'honneur de la famille.