Lettres à un jeune poète de Rilke (Fiche de lecture)

Rilke répond à Franz Xaver Kappus, qui lui a écrit pour lui soumettre quelques poèmes de sa composition, que son avis ne devrait pas entrer en ligne de compte car la critique ne permet pas d'aborder correctement une oeuvre. " Les choses ne se laissent pas toutes aussi facilement comprendre et exprimer que ce qu'on voudrait la plupart du temps nous faire croire " , dit-il. Pour Rilke, les oeuvres sont des existences mystérieuses et beaucoup de ce qui s'y passe n'est pas dit tel quel.

Il juge que les vers de Kappus manquent encore de caractère, mais il y ressent des tentatives d'atteindre quelque chose de plus personnel. Dès lors, Rilke lui conseille de ne plus demander d'avis extérieurs, mais plutôt de plonger en lui-même et de s'interroger quant à ses motivations à écrire, de chercher une " réponse profonde ". L'expérience personnelle n'est jamais un sujet trop pauvre pour un véritable poète et " une oeuvre d'art est bonne lorsqu'elle provient d'une nécessité. " Par contre, il suffit de se rendre compte qu'on peut vivre sans écrire pour devoir y renoncer.

Rilke recommande à Kappus les oeuvres du Danois Jens Peter Jacobsen. Celui-ci et le sculpteur Auguste Rodin sont les deux créateurs dont il a le plus appris. Dans la 3e lettre, comme Kappus a commencé à lire les oeuvres de Jacobsen, Rilke l'encourage. Il le rejoint dans son avis défavorable vis-à-vis de l'introduction critique de Là auraient dû être des roses et lui rappelle de ne donner raison qu'à ses propres impressions, lesquelles doivent évoluer librement, sans contraintes, avec le temps. " Être un artiste signifie ne pas calculer, ne pas compter, mûrir comme l'arbre qui ne presse pas sa sève ", explique-t-il. Pour Rilke, dans la création comme dans la compréhension artistique, la patience est primordiale.

Kappus se posant apparemment de grandes questions sur la vie et le sexe, Rilke l'avertit que personne ne peut l'aider, mais qu'il peut trouver la paix en se raccrochant à la nature et aux choses simples. Il doit apprendre à aimer ses questions et à ne pas chercher de réponses qui lui sont encore inaccessibles car ça l'empêcherait de vivre ses questions : " Et c'est bien de cela qu'il s'agit, tout doit être vécu. Vivez les questions. " Il lui faut toujours accueillir ce qui provient naturellement de son être et rester fidèle à lui-même, même si c'est difficile. La sexualité est difficile, leur tâche d'artistes est difficile.

Le sexe est une connaissance du monde à part entière ; la fertilité spirituelle est d'ailleurs parente de la fertilité corporelle. Être artiste n'est rien si on ne trouve pas d'innombrables confirmations de ce que l'on crée dans le monde réel, par exemple le souvenir de nombreuses nuits d'amour.

Rilke croit possible qu'un jour le mystère de toutes ces occurrences soit percé et qu'un suprême poète résume l'expérience universelle de tous les amants expérience qui, pour Rilke, est peut-être une " grande maternité " car la beauté des femmes de tous âges (et même des hommes dans leur capacité (pro)créatrice) est dans leur maternité future, présente ou passée. L'avènement de ce suprême poète est chaque jour préparé par les artistes solitaires et éclairés.

Rilke évoque la solitude comme état propice à l'introspection et suggère à Kappus d'être dans ces moments-là attentif à ce qui survient en lui-même plus qu'à ce qui l'entoure, même si c'est difficile, car ce qui se passe au plus profond de son être est digne de toute son attention. Cette démarche artistique doit primer sur tout, même sur le souci de se situer dans la société et ses hiérarchies. L'artiste doit rester le plus proche possible des choses qui le touchent vraiment.