Le Roman inachevé de Louis Aragon (Fiche de lecture)

" Les mots m'ont pris par la main " se compose de trois poèmes retraçant la découverte d'un nouveau langage poétique et la jeunesse surréaliste du poète (en compagnie d'André Breton, qui n'est pas nommé) : " Car l'un de nous avait inventé pour les mots / Le piège à loup de la vitesse " (p. 81).

Dans " Le mot vie ", le processus autobiographique se poursuit avec l'évocation de l'" amie éclatante et brune " ou de la mort de la mère (" Maman la chambre d'hôpital à Cahors en quarante-deux ", p. 97), mais il est ponctué de retours au temps présent (" La lumière de la mémoire hésite devant les plaies ", p. 95).

" Les pages lacérées " évoquent la Guerre Civile espagnole (" Après vingt ans j'ouvre les yeux dans les ténèbres de Madrid ", p. 199), la Seconde Guerre mondiale et l'espoir né de la Libération (" O mois d'août quarante-quatre / Maintenant il peut / Ce vieux coeur s'arrêter de battre / Je sais ce que c'est qu'un ciel bleu ", p. 210).

" La nuit de Moscou " met en scène une promenade dans les pas du poète communiste, qui confesse en demi-teinte sa désillusion (" J'attendais un bonheur aussi grand que la mer / (...) Mais la réalité l'entend d'une autre oreille / Et c'est à sa façon qu'elle fait ses merveilles / Tant pis pour les rêveurs tant pis pour l'utopie ", p. 233).

Nota Bene : Il est possible de dégager un squelette narratif (dates, lieux, noms) dans le recueil, correspondant aux principaux événements de la vie de Louis Aragon, mais lesdits événements sont livrés dans un flou temporel, étouffés par les non-dits, les images et les détours. Le caractère poétique reste dominant et déterminant, et le poème infiniment plus dense que la structure que nous avons dégagée.

Le XXe Congrès du Parti Communiste, qui eut lieu en février 1956, fit de " 1956 l'année la plus turbulente et la plus importante dans l'histoire communiste depuis novembre 1917. " En effet, le rapport Khrouchtchev, qui dénonce implacablement les crimes de Staline et son culte de la personnalité, est rendu public par la presse. L'onde de choc se propage en Europe, puis dans le monde entier, et atteint la famille communiste en son coeur. Le PC français perd près de 25% de ses effectifs, mais il choisit d'ignorer la catastrophe, et de s'entêter dans l'aveuglement.

Louis Aragon, qui est membre du Parti Communiste depuis 1927 (son adhésion n'est cependant effective qu'en 1932), s'est engagé dans l'aventure du communisme en tant qu'intellectuel (activités journalistiques et militantes dans L'Humanité, puis dans Ce soir et les Lettres françaises), mais aussi en tant qu'écrivain (poésie partisane de Hourra l'Oural 1934, adhésion à la doctrine littéraire du réalisme socialiste dans Les Communistes). Malgré ses doutes et ses désaccords, malgré l'évidence d'un régime criminel, Aragon se plie à la discipline du Parti et meurt en 1982 sans avoir renié son engagement, du moins dans la sphère publique.