Le Paysan de Paris de Louis Aragon (Fiche de lecture)

Il interrompt sa réflexion pour faire part au lecteur de son sentiment tout-puissant de liberté à la venue du printemps qui éveille ses sens : les femmes lui font tourner la tête. Cela fait naitre en lui l'idée que le corps soumet la raison comme l'erreur soumet la certitude. Le narrateur choisit de se laisser guider par les erreurs de ses sens, il cherche à découvrir des " mythes nouveaux ", " le sentiment moderne de l'existence " et le " sentiment du merveilleux quotidien ", autant d'éléments soumis à l'éphémère.

Il se promène dans les deux galeries du Passage de l'Opéra : la galerie de l'Horloge et celle du Baromètre. Là encore, il arpente l'éphémère puisqu'elles sont amenées à disparaitre en raison des travaux du boulevard Haussmann. Il est en quête du " merveilleux quotidien ", du mystère et de l'infini. Il décrit les commerces de la galerie de l'Horloge : la maison de passe, la librairie Rey, Le Petit Grillon, etc. Sa démarche est celle du " microscope ". Il se lance ensuite dans une réflexion sur les femmes et les dangers de l'amour, puis il revient à ses descriptions, évoquant le salon de coiffure pour dames, le salon de coiffure pour hommes et la boutique du tailleur. Chaque lieu le fait tergiverser dans l'une ou l'autre évocation poétique et sensuelle. L'escalier qui descend dans la rue Chauchat, qu'il qualifie d'intermédiaire entre la réalité extérieure et le subjectivisme du passage, est un carrefour sentimental qu'il enrobe du champ lexical de l'inutilité, du pessimisme et de la destruction. Il décrit l'autre côté de la galerie avec le cireur et les Bains. C'est l'occasion pour lui de déplorer le manque d'imagination amoureuse des parisiens, et la négligence de leurs désirs et de leur sensualité. Avec la description du restaurant Saulnier, il dit quelques mots du mouvement Dada. C'est ensuite au tour du café Biard et de la galerie du Baromètre, puis le narrateur poursuit son travail de laboratoire par le Théâtre-Moderne, l'Hôtel de Monte-Carlo et la boutique du cireur de chaussures, les cabinets et le café Certâ, etc. Il évoque sa méthode de description : elle est pour lui le moyen d' " accéder à un domaine encore interdit ", puis en vient à l'apologie du gout de l'éphémère et de l'imagination. Ensuite, il décrit le restaurant Prato médiocre et bon marché, le Coiffeur des Grands Hommes, le restaurant italien, le fournisseur en champagne de S.A.R. le duc d'Orléans et l'orthopédiste-bandagiste. La description de chez " Mme Jehanne massage " donne lieu à un passage sur la prostitution qu'il exalte par amour de l'anarchie, de la décomposition et du fugace. La partie se termine par la perte de toutes les certitudes par le narrateur et par le triomphe de l'Erreur et du vertige.

Des objets usuels plongent le narrateur dans le mystère, c'est ce qu'il remarque au quotidien sans avoir le moyen de le comprendre. Cette immersion dans le mystère lui procure beaucoup de plaisir et lui donne envie de connaitre l'essence métaphysique, l'origine de ces délices qui explique que l'objet usuel se transfigure sous ses yeux non pas allégoriquement ou symboliquement, mais comme idée en tant que telle. Il découvre par la pensée figurative, par le mythe, que ces sensations et l'empire de ces éléments mystérieux sont symptomatiques du vertige du moderne. Au départ, il n'avait que mépris pour le mythe, mais c'était sans avoir compris qu'il était une étape nécessaire au déroulement de la conscience.

La vue de l'objet en question provoque alors une sensation de vertige à cause de cette multitude de réalités auquel il renvoie. La certitude n'est plus dans le "C'est ça", mais dans l'intuition de toutes les autres significations. L'infini de l'univers se cache derrière la finitude des choses, derrière le concret. Le propre de sa pensée est un mécanisme analogue à la genèse mythique, telle est la conclusion du narrateur.

Les divinités modernes c'est-à-dire les objets usuels qui plongent le narrateur dans le mystère sont en lien avec le principe d'accélération, le mouvement permanent, qui gouverne le passage. On s'agenouille devant l'autel de la course à l'accomplissement. Les distributeurs d'essence ont parfois l'allure de ces divinités de par leur robe métallique et leur bariolage de mots anglais. Cette vénération nouvelle de l'homme pour la machine est un nouveau sentiment mystique. Et le tragique de la mythologie moderne est le dépassement de l'homme par ce qu'il a pensé.

Il déduit de cet attachement au vert que les hommes éprouvent le sentiment de la nature, un sentiment qui joue un rôle dans la conception mythique du monde moderne. Le narrateur pousse sa réflexion en redéfinissant la nature : " la nature est mon inconscient ". Le sentiment de la nature n'embrasse que les objets dont l'homme est absent, à savoir le monde extérieur dans sa globalité avant sa représentation, donc avant que l'esprit ne s'en fasse une construction.

Le sens de l'inconscient est le " sens liminaire du conscient à l'inconscient " (p. 154-155), il est le sens mythique. Un mythe est un objet qui donne lieu à l'ouverture d'un passage entre le conscient et l'inconscient. L'objet mythique donne le sens de l'inconscient. Il est la prise de conscience du seuil entre conscience et inconscience. La porte est ouverte. La vue première du réel, avant le passage dans l'inconscient et le travail de l'imagination, est fausse et incomplète. Seul le changement est réalité. Il faut en conclure que le départ est figuratif (inconscient, mythe) et que le prolongement est logique.