Fin de partie de Samuel Beckett (Fiche de lecture)

? Ils ont tous les deux plusieurs handicaps physiques : Hamm est paraplégique, obligé de rester assis dans son fauteuil, Clov est incapable de s'asseoir, forcé de rester debout à longueur de temps ; Hamm est aveugle et Clov voit très mal. Tous deux ont une mobilité réduite et un état de santé général précaire. Hamm s'enfile calmants et remontants alors que Clov " pue " déjà " le cadavre " (p. 63).

? Leur état civil est pareillement incertain. Les monosyllabes qui constituent leurs noms peinent à en faire de véritables patronymes. Ils sont vieux, mais on ignore leur âge exact. Leur biographie ne comprend que quelques rares éléments : Hamm a pour parents Nagg et Nell, la Mère Pegg comptait parmi ses connaissances, il a rendu service à un fou et il a joué le rôle de père pour Clov. Quant à Clov, nous n'en savons pas davantage : il ne se souvient pas de son père et ignore pourquoi il a atterri chez Hamm. Clov et Hamm sont deux êtres qui ne semblent pas avoir véritablement vécu : ils n'ont ni grand passé ni existence véritable.

? Ce sont des êtres emprisonnés, emmurés. Ils considèrent l'extérieur comme un enfer et l'intérieur comme un refuge. Hamm ne souhaite pas sortir et ne le saurait de toute façon pas. Clov le pourrait, mais ne le fait pas. Il a beau menacer sans cesse Hamm de le quitter, il reste. À la fin de la pièce, on aperçoit Clov sur scène avec une valise en main, prêt à exécuter sa menace de désertion, mais il ne bouge pas.

Clov, se sachant devenir aveugle et paralysé, voit, de fait, davantage Hamm comme son devenir qu'en tant que père adoptif. Inversement, Hamm voit en lui son passé puisque la lente dégradation de Clov a été la sienne. Ils sont donc le miroir l'un de l'autre. Ainsi, Hamm est comme le double vieilli de Clov.

? Clov est esclave de Hamm. Il est son jouet et réalise tous ses caprices. Il pousse son fauteuil et pare à tous ses besoins, lui apportant draps, cathéter, chien, calmant, etc. Il exécute tous les ordres qu'Hamm multiplie avec plaisir : " Va me chercher la gaffe " (p. 59), " Va chercher la burette " (p. 60), " Réveille-le " (p. 66), etc. Celui-ci abuse de l'impératif et domine les dialogues. Plus encore, Hamm maltraite Clov dont il se sert comme souffre-douleur. Il se soulage sur lui, et le veut obéissant et implorant comme un chien.

? Hamm est dépendant de Clov. Sans Clov, Hamm ne peut rien, ni faire rouler son fauteuil, ni savoir ce que l'extérieur raconte, ni avoir un auditeur alors qu'il a besoin d'être écouté pour tromper son ennui. Hamm, sans interlocuteur, n'est plus rien. Les rapports de domination changent alors parfois : lorsque Clov devient moins docile, refuse d'obéir, élève la voix ou même le frappe avec la peluche.

? Ils ne peuvent vivre seuls : " Moi je ne peux pas te quitter " (p. 62), dit Hamm. Il est incapable de remplacer Clov et n'a aucune autonomie. Clov, de son côté, menace toujours de partir (p. 52, 54, 57, 77, 88, 104), mais ne le fait jamais parce qu'il n'a pas d'endroit où aller. Ses tentatives pour prendre le large s'avèrent toujours être des échecs parce qu'il se pense trop vieux et incapable de changer ses habitudes. Quelque part, il est aussi paralysé. Leurs patronymes font d'ailleurs référence aux vocables anglais " clov " et " hammer ", à savoir le clou et le marteau. L'un appelle l'autre, l'un sans l'autre n'a pas d'utilité. Complémentarité et domination caractérisent cette relation.