Dix leçons chinoises pour managers occidentaux

Et toutes ces activités, ces usines, ces sous-traitants qui donnaient en Europe ou sur le continent américain des emplois aux travailleurs occidentaux, voilà que tout cela part là-bas ! Sans compter que la Chine pollue la planète ; et puis il y a les droits de l'homme bafoués, la démocratie ignorée, la corruption généralisée ! Et en plus, les Chinois deviennent des partenaires commerciaux importants dans notre pré carré africain !

Bref, tout se passe comme si, dans l'actuel affolement de pays occidentaux qui voient leurs repères traditionnels s'effacer sans avoir toujours le courage d'affronter cette situation neuve, l'essentiel était de trouver un mouton noir, " ce pelé, ce galeux dont nous vient tout le mal ". Et la Chine fait bien l'affaire. Avec ce milliard quatre cent millions d'habitants qui fait peur, avec ce régime communiste, son opacité et son massacre de Tiananmen qui effraient, avec ses colossales réserves de change, son yuan de combat et ses salaires imbattables qui en font un terrifiant jouteur dans la compétition mondiale, la Chine possède tout ce qu'il faut pour polariser nos hantises, attiser nos trouilles et susciter des fantasmes d'échec, voire une xénophobe antipathie.

Le contingent considérable des travailleurs migrants, les min gongs, aux conditions de vie inacceptables, la multiplication des émeutes ponctuelles, la réduction rapide des terres arables par combinaison de la désertification, de la salinisation des sols, de la pollution et de l'urbanisation galopante, le sort réservé à certaines minorités ethniques, en particulier aux Tibétains et aux Ouïghours, la misère à vaste échelle toujours présente dans les provinces de l'ouest, les 3 000 morts en 2007 dans les vétustes mines de charbon, le risque d'éclatement de la bulle financière, la corruption omniprésente : tout cela, le lecteur doit impérativement le garder en tête.

Pour autant, il ne faut pas oublier que le fantastique dynamisme chinois, si nous ne devons pas en taire les ombres, il faut aussi savoir en voir les lumières. On peut le regarder, non comme Jean qui grogne et sa bouteille à moitié vide, mais comme Jean qui rit et sa bouteille à moitié pleine.

D'abord, nous lui devons pour la plus large part avec l'aide, il est vrai, des trois autres pays du BRIC (le Brésil, la Russie et l'Inde) ce considérable et permanent taux de croissance de l'économie mondiale : ce fameux taux de 5 % qui dure depuis tant d'années, ce n'est pas la croissance asthénique de l'Europe et celle d'une Amérique en voie de ralentissement qui auraient pu le produire ni le maintenir. Et, bien sûr, nous en profitons au premier chef, puisque ce dynamisme entretient l'activité de nos entreprises. En outre, où en serait le pouvoir d'achat de nos concitoyens, un pouvoir d'achat que l'envolée des prix du pétrole et des diverses matières premières industrielles et agricoles rend de plus en plus problématique, si la dynamique chinoise n'avait pas contribué à faire baisser le prix des produits manufacturés?

Ensuite, il faut rendre grâce à l'interpellation chinoise : pour brutale qu'elle soit, elle met en évidence, sous nos yeux, les risques que nous ferait courir le maintien en l'état de nos immobilismes, de nos freins structurels, de tout ce qui a produit cette " société bloquée ", si bien décrite en 1972 par le sociologue Michel Crozier

Face aux mutations du monde, nous, les économies riches, sommes désormais confrontés à un choix binaire : l'innovation permanente dans tous les compartiments du jeu ou l'adoption, à terme, du modèle social des pays à bas salaires. Les bouleversements fondamentaux qu'introduit la Chine dans l'équilibre économique du monde nous contraignent désormais au mouvement. Nous ne pouvons plus reculer.