Les Fruits d'Or de Nathalie Sarraute (Fiche de lecture)

Un personnage masculin est en visite chez des personnes rangées et utilise l'art pour s'intégrer à ce milieu. Interrogé sur Les Fruits d'Or, il " hurle " son acquiescement pour répondre à leurs attentes. Un autre personnage défend également l'ouvrage, mais son approbation est qualifiée de lourde et ridicule. Un personnage critique revendique son indépendance d'esprit, sa liberté de penser, et affirme, en opposition avec l'opinion dominante, son absence d'émotion à la lecture du roman : " Je suis libre, vous entendez. Absolument libre. " (p. 26) Il se range en réalité ainsi à l'avis d'un autre critique qui nie toute valeur à ce texte et inverse par la suite son jugement.

C'est dans la solitude qu'un personnage parvient à formuler un jugement personnel sur le texte. Il juge son style élevé très pur et d'une grande qualité, malgré sa dimension obsolète. Il parvient à coucher son opinion sur le papier : " Sous cette chaude lumière, en lui la sève monte, les mots hardiment s'élèvent..., "Admirable... ". " (p. 32) Le jugement de ce critique est ensuite repris par tous les autres critiques.

Une jeune femme demande son avis à un critique établi, Lucien, qui livre la sentence définitive à l'assistance : " Les Fruits d'Or, c'est un très beau livre. " (p. 39) Alors qu'elle ne parvenait pas à trouver du sens au roman, la jeune femme se range à son analyse sans chercher à y confronter sa propre opinion. Une autre femme n'est cependant pas satisfaite de l'interprétation du roman et parvient à rassembler son courage pour protester faiblement. La critique cinglante ne se fait pas attendre : " Ma chère enfant, c'est très touchant, la voix sèche claque, le petit rire glacé cingle [...]. " (p. 47)

Les lecteurs sentent le plaisir de la lecture leur échapper, car ils ont seulement le droit à d'arides explications théoriques et peu claires, alors qu'ils sont avides de comprendre la littérature : " Ceux qui avaient eu pendant un bref instant l'espoir de se fixer dans les pays riants qu'ils avaient entrevus, reprennent leur marche, morne troupe captive traînant ses chaînes, chassée vers quelles immensités marécageuses, quelles étendues sans fin de toundras glacées. " (p. 65) Ils espéraient prendre encore plus de plaisir à la lecture, mais leur espoir est détruit sans pitié par les paroles des critiques littéraires.

Un critique prétend avoir été le premier à voir avant Les Fruits d'Or le talent de son auteur alors même qu'il a critiqué sans pitié ce livre dans un article. Une femme le lui rappelle, mais il ignore sa remarque et son entourage la fait passer pour folle en la stigmatisant avec violence : " Qui trouble l'ordre ? Qu'est-ce que c'est que cette folle, cette illuminée qui parcourt la terre, pieds nus et en haillons, crie sur les places publiques, se frappe la poitrine, appelle à la pénitence [...]. " (p. 85)

L'auteur met ensuite en scène les flatteries entre critiques qui empêchent de réels jugements. L'un d'entre eux demande ensuite à son collègue des exemples de beaux passages dans le livre. L'incapacité de ce dernier à répondre marque la mort sociale du critique. Après avoir tenté d'échapper à la question de son collègue, il admet qu'il s'est trompé et que Les Fruits d'Or ne sont pas le chef d'oeuvre qu'il avait défini comme tel.

" Attendez. Ça me dit quelque chose. Attention hein. Méfiez-vous. Vous savez qu'il y a longtemps que ç'a été fait. " (p. 146) Son analyse de la littérature se borne à un classement des auteurs reconnus. Elle ne parvient pas à garder la littérature vivante ; elle est qualifiée dans le roman de fossoyeur. Bréhier est définitivement enterré par la critique : " La fosse commune... évidemment... c'est tout juste assez bon... Les bouquins de ce genre n'ont droit qu'à l'oubli. " (p. 150)