Les Racines du ciel de Romain Gary (Fiche de lecture)

Dans les années 50, la décolonisation de l'Afrique Équatoriale Française est en marche. Alors que l'administration française vit ses dernières heures de tranquillité, Morel crée des perturbations en protégeant avec acharnement les éléphants massacrés pour leur ivoire. Ces animaux représentent pour lui, ancien résistant rescapé des camps de concentration, le symbole même de la liberté.

Habib, contrebandier d'armes et de peaux d'animaux, ouvre un bar dans lequel il fait venir Minna pour tromper la solitude des hommes des bleds perdus du Tchad. Elle était seule dans les ruines de Berlin, cherchant à fuir les atrocités. Chanteuse puis strip-teaseuse, elle accepte cet emploi d'hôtesse à Fort-Lamy.

Waïtari, qui accompagne Morel dans ses expéditions, veut bâtir une Afrique à l'image des blancs, à savoir une Afrique totalitaire : matérialisme, religion triste, absence de joie et de magie, et virus nationaliste. C'est un indépendantiste qui veut abolir les traditions tribales et les croyances. Il se sert de Morel pour faire connaitre sa cause.

Morel, qui a enrôlé Forsythe, Idriss, Peer Qvist et Korotoro, traverse avec eux le massif des Oulés. Ils sont rejoints dans leur mission par des jeunes Noirs, compagnons de Waïtari. Ces derniers pensent que la défense des éléphants est un fabuleux moyen de propagande en faveur de la puissance africaine en marche. Ils y voient une excellente arme de lutte politique contre l'exploitation de leurs richesses naturelles par le capitalisme étranger. Les éléphants leur importent donc peu, d'autant qu'ils les considèrent comme un anachronisme au sein d'une Afrique moderne industrialisée. N'Dolo préfère les usines et les tracteurs aux éléphants et aux lions. Le colonialisme adorateur de cet exotisme pourvoyeur de matières premières et de main-d'oeuvre bon marché doit périr. Ensuite, les jeunes endoctrineront les masses pour écraser le passé tribal et introduire les notions politiques nouvelles.

Il s'adresse uniquement aux sentiments de dignité de chacun, sans distinction, sans discrimination, et sans autre souci qu'une entente pour la protection de la nature. (...) Au moment où se réunit à Bukavu une nouvelle conférence pour la protection de la faune et de la flore africaines, il croit indispensable d'appeler l'attention de l'opinion publique mondiale sur les travaux de la conférence, travaux qui se déroulent trop souvent au milieu de l'indifférence générale. (p. 270-271)

Fields, un journaliste photographe, se crashe en avion au-dessus des régions désertiques des alentours des eaux du Kuru. Il y a l'occasion de réaliser le reportage le plus dramatique de sa carrière : la sécheresse a provoqué l'exode de centaines d'animaux ayant parcouru des kilomètres à la recherche d'eau. La plupart sont agonisants. Dans cette région, Fields rencontre Morel et sa bande. Il déduit des discussions que la protection de la nature masque une tendresse généreuse envers tout ce qui souffre, y compris les hommes. Morel a finalement lui aussi un programme politique : élever le niveau de vie des africains pour qu'ils n'en soient plus réduits à massacrer les éléphants pour se nourrir.

Nous avons fait cela pour en finir avec le mythe des éléphants. On s'efforce de cacher notre lutte pour l'indépendance sous le rideau de fumée d'une prétendue campagne pour la protection de la nature. C'est une manoeuvre classique de l'Occident : dissimuler sous de grands mots et de grands principes humanitaires des réalités hideuses (le colonialisme, le maintien de million d'hommes dans l'ignorance la plus complète et la pauvreté). Il fallait en finir avec cette tactique. (p. 371)