Feuillets d'Hypnos de René Char (Fiche de lecture)

Ces pages sont écrites dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale, et plus particulièrement de l'Occupation de la France par les troupes allemandes. Une résistance armée, intérieure et clandestine, s'est organisée, refusant l'armistice signée par le Maréchal Pétain et le régime de Vichy, qui mènent une collaboration d'État avec l'occupant nazi (notamment pour la déportation des Juifs). Sur cette toile de fond, la trajectoire de René Char est sans équivoque. Démobilisé en 1940, il entre dans la clandestinité et se base dans le village de Céreste, commune des Basses-Alpes située dans l'actuel Parc naturel régional du Lubéron, à partir duquel il organise un vaste réseau d'action clandestine dans l'arrière-pays provençal. Au printemps 1942, René Char est nommé chef du secteur Durance-sud de l'Armée Secrète et il prend pour nom Alexandre (le héros antique). Quand en novembre 1942, les Allemands envahissent la zone libre (à l'issue de l'armistice, la France avait été découpée en une zone occupée et une zone libre), la Gestapo-la police politique nazie s'installe dans la région. En septembre 1943, René Char est intégré dans les Forces Françaises Combattantes au grade de capitaine. Il dirige la S.A.P. (Section Atterrissage et Parachutage) des Basses-Alpes, responsable de la réception et de la distribution d'armes et de matériel, qui sont lâchés par les avions alliés, la nuit, dans le maquis. En juillet 1944, il est appelé à Alger, où il occupe la fonction d'officier de liaison et entraine les parachutistes. À la Libération, il prend ses distances et retourne définitivement à la poésie, désenchanté par le contexte politique d'après-guerre.

S.A.P. autour de Céreste dans les années 1943 et 1944. René Char est un combattant, il a des responsabilités de chef et de meneur d'hommes. Il tient un journal qui lui sert de carnet de bord, dans lequel il inscrit ses réflexions, mais aussi des informations en lien direct avec les combats et l'action clandestine (renseignements topographiques, remarques sur les hommes, dépenses effectuées, tâches à accomplir, etc.) En juillet 1944, tandis qu'il part pour Alger, il enfouit le carnet et le déterre à son retour. En 1945, il le transforme en recueil poétique : le journal devient des " feuillets " dont l'écriture est attribuée à Hypnos. Le carnet subit un travail de recomposition ; le poète élague ou développe, recrée l'ordre des fragments, et abandonne la plupart des notations techniques ou organisationnelles. Il détruit le carnet original, ne gardant qu'une page en guise d'échantillon de ce que fut la matière concrète à partir de laquelle sont nés les Feuillets en tant qu'oeuvre littéraire.

? Au fragment 11, " l'Élagueur " est Francis Curel. Fils d'un cantonnier communiste, ami d'enfance du poète, il est arrêté en 1943 à Isles-sur-la-Sorgue puis déporté à Linz, en Autriche. Le poète est " sans nouvelles " tandis qu'il écrit ces lignes. Francis Curel revient de déportation en 1945. Il s'éteint en 1965.