La récidive, une mise à l'épreuve de la République

Publié par : Economist

La récidive, une mise à l'épreuve de la République - Disponible sur l'archive ouverte pluridisciplinaire HAL.


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Mais jusque-là les philanthropes et juristes qui s'étaient intéressés à la récidive, n'avaient posé la question qu'en termes de problème pénitentiaire, problème qu'une réforme des prisons devait conjurer. Tout au long du siècle, l'institution carcérale va se trouver au centre des discussions.


la question de la sécurité publique et privée. L'émergence de savoirs scientifiques à la fin du XIXème siècle, va épauler la décision politique dans la mesure où il donne à l'Etat le moyen de comprendre et de pouvoir agir au mieux. La science sociale devient un savoir qui fonde le politique. Un savoir, des techniques, des discours scientifiques se forment, se nouent en adéquation avec une société pour qui la politique sera fondée sur la connaissance.


La récidive deviendra un véritable objet de savoirs. De nombreuses thèses juridiques s'intéressent à cette question de 1862 à 1912, les statistiques judiciaires se saisissent avec vigueur du phénomène, la criminologie s'en préoccupe mais c'est la " science pénitentiaire qui s'y attachera avec constance à travers les travaux de la SGP et des congrès pénitentiaires internationaux


Chaque année depuis 1826, le compte général donnait le compte rendu statistique de l'activité judiciaire, ainsi que la proportion du nombre des récidivistes sur celui de la criminalité générale. On pouvait donc, année après année, mesurer la progression du récidivisme, une véritable plaie pour les hommes de droit. C'est l'accroissement du nombre de criminels qui avait en partie décidé Napoléon III à faire voter la loi du 30 mai 1854 sur la transportation en Guyane des criminels condamnés aux travaux forcés. En 1880, le CGJC montre que la rechute s'est accentuée, non pas tellement en matière de crimes, mais de petits délits. Le nombre des courtes peines a progressé d'une façon "effrayante" constate un spécialiste des statistiques auprès du ministère de la Justice, Emile Yvernès. En 1877, le CGJC notait que " l'accroissement du nombre des récidivistes a depuis longtemps frappé la sollicitude des moralistes et des gouvernements de tous les pays: on ne peut qu'exprimer des voeux pour que leurs efforts réunis parviennent à trouver les moyens d'arrêter le développement de cette plaie sociale.


De 1876 à 1880, la proportion était montée à 48%, soit plus de 85.000 individus repris de justice6. On l'a dit, ce qui agaçait les gouvernants quels qu'ils soient, au XIXème siècle, c'était la réitération du crime au sens sociologique de Durkheim de ce que la société considère comme une atteinte à la morale. Devant cette progression statistique, le gouvernement ne souhaite pas en 1881 rester sans rien faire. Le projet de loi présenté par Waldeck-Rousseau en février 1882, et défendu par lui devant les chambres à partir de 1883, manifeste les attentes du pouvoir face au problème social et désormais éminemment politique de la rechute pénale.


Les criminologues discutent de la personnalité du récidiviste. Avec Lacassagne, les théories déterministes et anthropologistes pénètrent en France. Pour beaucoup, le problème de la récidive à l'origine restreint au seul domaine judiciaire devient une question sociale à part entière. Ici il n'est pas inutile non plus de rappeler que ce qui est dit du délinquant rappelle par certains côté les propos tenus autrefois sur la folie: on cherche à connaître les causes du récidivisme, qu'elles soient physiologiques (Arthur Bordier publie en 1879 un article intitulé "Les crânes d'assassins" dans la Revue d'anthropologie, dont l'idée forte est la possibilité de déterminer chez quelqu'un un "instinct" criminel par la seule mesure de sa boîte crânienne...), ou psychologiques et liées au milieu social.


Mais du côté des criminologues, de l'école d'Alexandre Lacassagne et des Archives8, la récidive n'est pas véritablement traitée. C'est ici un délit multiplié, quelles qu'en soient la nature et la forme, et qui du fait de sa reproduction, de sa répétition, devient un délit en soi : le délit suprême. De ce fait, il est présent partout, implicitement, dilué dans les commentaires. Il y a crainte du voleur, du criminel, mais plus encore de celui qui totalise tous ces crimes et les renouvelle : le récidiviste. Celui qui est ainsi visé n'est pas forcément l'escroc habile ou l'assassin, mais le mendiant, le vagabond, multirécidiviste par excellence. Ce "rebelle à tout espèce de travail" comme le décrit Waldeck Rousseau est un danger qui menace cette société dont l'ordre et le travail sont des valeurs établies. On pense bien souvent que certains criminels sont " des natures lâches et paresseuses, des volontés impuissantes. Il y a chez eux une sorte d'aboulie qui les rend incapables de travailler et de lutter "9. Tels seraient le mendiant, le vagabond. Ce dernier étant le modèle de récidiviste10. La paresse n'est pas la seule raison de ce vagabondage, la crise économique a jeté sur les routes bon nombre de sans travail. A. Bérard, juriste et député de l'Ain, tente de faire une synthèse de l'état du vagabondage en France11. Il fait la distinction entre les nomades, tsiganes bohémiens et les vagabonds. Il donne une vision "mythique" des premiers pour mieux terrasser les seconds. Le "véritable" vagabond, pour Bérard, celui qui constitue un réel danger pour la sécurité publique, celui contre lequel les populations rurales demandent aux pouvoirs administratif et judiciaire de sévir particulièrement, c'est le chemineau, c'est le trimardeur. Il court sur les routes, venant on ne sait d'où, allant on le sait encore moins, lui-même l'ignore le plus souvent, à l'affût de tous les mauvais coups. Bérard voit ce vagabond prêt à commettre toutes les mauvaises actions, en rébellion contre la société, prêt à tous les crimes, vraie bête fauve égarée en un pays civilisé. En même temps, c'est un paresseux, un oisif, ne cherchant jamais à travailler, s'abandonnant au gré des vents et des étoiles, courant les grands chemins, demandant le pain quotidien alternativement à la rapine et à la mendicité. De plus, il reconnaît un caractère d'incorrigibilité, voué d'incurabilité aux vagabonds. Le vol et le vagabondage, voilà d'où l'on part, voilà où l'on revient le plus souvent dans la vie des récidivistes.



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Date :

03/02/2011


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Français


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Auteur : Martine Kaluszynski


Tags : Article de recherche, Economie
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