La question prioritaire de constitutionnalité : une révolution dans l'histoire du droit français ?

Publié par : Economist

La question prioritaire de constitutionnalité : une révolution dans l'histoire du droit français ? - Disponible sur l'archive ouverte pluridisciplinaire HAL.


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Il ne paraît guère contestable que le contrôle de la constitutionnalité des lois par voie d'exception a été précédé de plus de trente ans par le contrôle dit de conventionalité, donnant lieu lui aussi à une exception devant le juge judiciaire, depuis le célèbre arrêt des cafés Jacques Vabre (Cass. ch. mixte, 24 mai 1975), puis devant le juge administratif, depuis le non moins célèbre arrêt Nicolo (CE, Ass., 20 octobre 1989). Ces arrêts peuvent être qualifiés de " révolutionnaires " dans la mesure où ils rompent avec une jurisprudence (à vrai dire assez peu fournie) sur la supériorité de la loi postérieure par rapport à l'engagement international antérieur1. S'ils sont indubitablement liés à la création du Conseil constitutionnel en 1958 et surtout à ses décisions de 1971 (71-44 DC) sur la liberté d'association et de 1975 (74-54 DC) sur l'IVG, ils sont profondément innovants sur les pouvoirs du juge judiciaire et du juge administratif par rapport à la loi française. Personne ne doute qu'ils marquent un changement par rapport à une attitude antérieure caractérisée par un refus des juridictions des deux ordres de discuter de la validité de la loi.


" Ratier " dans laquelle le vice-président du Sénat contestait la constitutionnalité de la loi du 23 mars 1914 sur les commissions d'enquête parlementaires. Dans les deux cas, les juridictions administratives et judiciaires se refusaient à examiner l'exception d'inconstitutionnalité soulevée. Il ne fait pas de doute que cette jurisprudence consacrait le droit positif français sous la IIIe et la IVe République : à supposer, ce qui n'est pas impossible, que des juridictions du fond aient parfois admis des exceptions d'inconstitutionnalité, les cours suprêmes s'étaient expressément prononcées en faveur de l'incompétence des juges.


La situation est paradoxalement plus complexe si l'on remonte dans le temps. Jean-Louis Mestre a attiré l'attention sur différentes manifestations d'un contrôle de constitutionnalité dans l'histoire de la Cour de cassation, notamment sur deux arrêts de la Chambre criminelle du 15 mars et du 17 novembre 18514. Des accusés, poursuivis pour leur participation à des troubles pendant l'état de siège en 1850, arguaient de l'inconstitutionnalité de la loi du 9 août 1849 sur la compétence des juridictions militaires à l'égard des non militaires.


Ces arrêts admettent incontestablement la légitimité d'une exception d'inconstitutionnalité présentée devant le juge judiciaire. Le problème est qu'il s'agit d'arrêts de rejet et qu'ils sont restés isolés dans l'histoire juridique française du XIXe siècle6 : ils n'ont donc pu ancrer l'exception d'inconstitutionnalité dans le droit positif français


En continuant notre démarche rétrospective, nous ne sommes pas en mesure de trouver, de l'Ancien Régime jusqu'en 1851, des précédents plus concluants à la reconnaissance de l'exception d'inconstitutionnalité. En revanche, en cherchant des procédures qui peuvent en être rapprochées, il faut relever le fonctionnement de l'exception d'illégalité et le contrôle de l'inconstitutionnalité des actes émanant du Gouvernement. L'exception d'illégalité a été, d'abord, une création jurisprudentielle de la Cour de cassation en 1810 pour permettre aux juges pénaux d'écarter les sanctions prévues par des arrêtés municipaux ou préfectoraux illégaux, en l'occurrence des textes qui interdisaient tout travail le dimanche7. Elle a été, ensuite, consacrée par la loi du 28 avril 1832 et la rédaction de l'article 471-15° du Code pénal. Selon le même mécanisme, appliqué cette fois à des décrets impériaux et surtout à des ordonnances royales, les juges judiciaires ont pu écarter, à partir de la Restauration, des actes du Gouvernement qu'ils estimaient contraires à la " légalité constitutionnelle ".


Tribunal de commerce de Paris8, d'autres s'appliquent à des décrets du Premier Empire suspectés d'avoir usurpé la compétence législative. La Cour de cassation s'est montrée prudente sur le contrôle de la constitutionnalité des lois antérieures à 1814 au regard de l'article 68 de la Charte maintenant les lois existantes " qui ne sont pas contraires à la présente Charte ".


Si le contrôle de constitutionnalité est caractérisé par le pouvoir d'arrêter l'application d'un texte légal, il est possible de remonter à des décisions encore plus nombreuses de la Cour de cassation et des juridictions judiciaires. L'essor de la jurisprudence relative aux matières traitées dans le Code civil, sensible dès la première moitié du XIXe siècle, est allée dans certains cas jusqu'à des interprétations contra legem, du moins contre le sens grammatical de la loi. C'est le cas des décisions, des Cours d'appel à partir des années 1840, puis plus tard de la Cour de cassation, qui admettent la légitimation des enfants incestueux par mariage subséquent de leurs parents contre la lettre de l'article 331 du Code Napoléon10. L'on dira que les juges judiciaires s'interdisaient d'écarter une loi sous prétexte qu'elle était contraire à des dispositions constitutionnelles dont ils n'avaient pas à se soucier. C'est faire bon marcher des visas qui invoquent les dispositions constitutionnelles, dès les premières décisions du Tribunal de cassation en 1791, et donner beaucoup d'importance à une décision du même tribunal rendue le 18 fructidor an V (4 septembre 1797) et souvent citée par la suite.



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03/02/2011


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Français


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Auteur : Jean-Louis Halpérin


Tags : Article de recherche, Droit
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