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Le mort qu'il faut de Jorge Semprun (Fiche de lecture) |
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lePetitLitteraire.fr
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Fiche de lecture Le mort qu'il faut de Jorge Semprun. Semprun veut enfin souligner la diversité de l'expérience concentrationnaire : plutôt que de mettre en avant l'effroyable, il dispense un message humaniste. L'écrivain est là où on ne l'attend pas, puisqu'il décrit les réels moments de bonheur des déportés désireux de se maintenir au rang d'homme dans ce lieu de l'ignoble, grâce aux relations humaines
Les quelques heures libres du dimanche après-midi sont vécues comme un miracle hebdomadaire car elles offrent la possibilité exceptionnelle d'un choix : la plupart choisissent d'aller dormir (" (...) le besoin de néant réparateur semblait prévaloir ", p. 14), mais certains préfèrent taire leur épuisement pour retrouver les copains et recréer une communauté. Les déportés échangent quelques mots, des nouvelles du monde et des gestes fraternels : un sourire ou un mégot de machorka. Ils récitent entre eux les bribes de poèmes appris par coeur dans un passé à présent anéanti. Semprun et Kaminsky, l'un des responsables de l'organisation militaire clandestine, conversent moitié en espagnol, moitié en allemand. À Buchenwald, toutes les langues se mêlent. Ce dimanche-là, les nouvelles sont rassurantes : à Bastogne, les américains ne cèdent pas. L'information tombe en décembre quand le froid glacial brule les mains, le visage et le coeur.
La veille, Kaminsky a appris à Jorge et à Nieto, leader de la troïka (l'organisation communiste espagnole), que la Direction centrale des camps de concentration a demandé des renseignements sur Semprun à la Politische Arbeitlung. Semprun risque peut-être d'être exécuté pour ses liens avec la Résistance. Kaminsky propose un plan : si le risque est confirmé, ils trouveront un moyen de faire mourir Jorge administrativement.
Kaminsky n'aime pas les Musulmans du camp parce qu'ils ne luttent pas pour la vie. Mais Semprun est proche de l'un deux. La première fois qu'il l'a aperçu, avachi contre le mur extérieur des latrines, il a été frappé par la proximité de leur numéro de matricule (sans doute étaient-ils arrivés le même jour à Buchenwald) et par son état moribond. Son regard juvénile pointait sous un masque mortuaire. Ils ont à peu près le même âge. Mais Jorge ressent une proximité plus profonde : le jeune Musulman incarne l'identité perçue comme possibilité d'être autre, il est comme un double de luimême. Semprun s'est alors mis à lui raconter sa nuit d'arrivée à Buchenwald, voulant raviver par-là l'étincelle du souci de soi du jeune inconnu, réveiller sa mémoire pour qu'il puisse à nouveau s'intéresser à sa propre histoire. Le Musulman ne lui a pas répondu, mais a mimé de ses doigts la cigarette qu'on roule. Semprun lui en a donné une et les yeux de l'autre en ont été humides de bonheur. Ce n'est que plusieurs dimanches plus tard que la conversation est devenue possible, lorsque Semprun a déclamé un poème en prose de Rimbaud et que le jeune musulman s'est mis à réciter la suite d'un seul trait, retrouvant par là son être.
La corvée de carrière consiste à transporter d'un point à un autre des morceaux de roche granitique, une tâche sans utilité effectuée sous l'horreur de la brutalité arbitraire. Un jeune Russe prend sur son épaule la pierre attribuée par le SS à Semprun, bien trop lourde pour lui, profitant du moment d'inattention du sous-officier cruel. Ce geste est totalement gratuit et de pure bonté, " exemplaire de la radicale liberté de faire le bien, inhérente à la nature humaine " (p. 51).
Dariet, Miller et Semprun prennent la décision de créer un groupe d'autodéfense. Le but est d'éviter d'être pris dans une rafle de déportés en vue de l'exécution d'une corvée. À tour de rôle, ils monteront la garde pour signaler l'arrivée d'un groupe de SS à la vue duquel il faudrait aller se cacher rapidement dans les latrines, un lieu d'asile. Ni les kapos ni les SS n'en franchissent la porte : " Ils détestaient la vapeur pestilentielle de "bain populaire", de "buanderie militaire", l'amas des corps décharnés, couverts d'ulcères, de hardes informes, les yeux exorbités dans les visages gris, ravinés par une souffrance abominable. " (p. 59) Semprun apprécie ce lieu et y cherche le désordre chaleureux de la mort en partage. Les épaves qu'on rencontre aux latrines sont fraternelles : " C'est là que l'on pouvait faire l'expérience de la mort d'autrui comme horizon personnel : être-avec-pour-la-mort. " (p. 60) L'absence des SS dans ce lieu de déchéance des corps fait conclure qu'ils ferment les yeux devant le spectacle de leur victoire, " devant l'image insoutenable du monde qu'ils prétendaient établir grâce au Reich millénaire " (p. 61).
Depuis 1939, Semprun a décidé que plus jamais personne ne l'identifierait à un étranger à cause de son accent. Il y est parvenu et depuis, tout ce qui constitue l'essence de ses origines (lieux, langue, enfance) a été refoulé. Pour lui, la langue française est la seule chose qui ressemble à une patrie. La loi du sol et la loi du sang sont dépassées en lui par la loi du désir. Mais, à Buchenwald, au fin fond du déracinement, Semprun retrouve ses repères et ses racines : une communauté de langue espagnole avec ses différents accents. C'est parmi les communistes espagnols de Buchenwald que Jorge retrouve un sentiment très fort d'appartenance. L'organisation clandestine du PCE lui a confié la tâche d'animateur culturel. La fonction est complexe en raison de l'absence d'intellectuels au sein du PC ; tous, en effet, sont d'origine prolétarienne. Alors c'est autour de textes poétiques espagnols que Semprun avait en mémoire que l'organisation a monté un spectacle andalou. C'est ainsi que Jorge fut de retour au pays.
Otto pense que l'expérience du Mal radical est le seul sujet qui vaille la peine du sacrifice des quelques heures de sommeil du dimanche après-midi. Jorge et Otto étudient ensemble des passages de Kant et de Schelling. Otto lui parle également de la Sibérie et du bagne tsariste, mais Jorge ne veut pas l'entendre, il veut rester dans le confort de sa surdité volontaire.
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