La Nausée de Jean-Paul Sartre (Fiche de lecture)

En effet, Antoine Roquentin vit une expérience qui le choque et le fascine : brusquement, le monde lui devient étranger. Lorsqu'il ramasse un galet au bord d'une plage, il s'aperçoit que les choses ou, du moins, la perception qu'il en a, ont changé. Il a la sensation que les objets sont soudainement habités par une vie propre : il les voit bouger, il les voit exister. Cette nouvelle vision du monde consiste-t-elle en une prise de conscience ou en une crise de folie ? Antoine lui-même en doute et c'est ce qui le pousse à tenir un journal dans lequel il retranscrit la moindre de ses expériences, de façon inégale et morcelée

Ce qu'il y a de curieux, c'est que je ne suis pas du tout disposé à me croire fou, je vois même avec évidence que je ne le suis pas : tous ces changements concernent les objets. Au moins c'est ce dont je voudrais être sûr. (...) Peut-être bien après tout que c'était une petite crise de folie (pp. 14-15).

Le narrateur retranscrit ainsi ses peurs et ses questionnements. Il fait part de sa sensation d'être effleuré par une feuille qu'il ramasse, de l'impression d'écoeurement, de " douceâtre nausée " qui l'envahit face aux plus petits objets qu'il sent exister. Très vite, son sentiment d'étrangeté se propage aux gens. Lui-même, un après-midi, ne se reconnait pas en s'observant dans un miroir. Effrayé, il se rend dans un café, seul endroit dans lequel il se détend et se sent bien, car il s'intègre à une foule anonyme, et le bruit et l'alcool le protègent des bizarreries du dehors.

Mais l'attraction qu'exercent sur lui ces nouveaux phénomènes est plus forte que tout. Il abandonne l'écriture de son mémoire historique, soudain devenue insignifiante, pour s'investir pleinement dans l'observation de ce qui l'entoure. Il ne se rend plus à la bibliothèque pour travailler, mais pour regarder ceux qui y passent leur temps. Il se focalise ainsi sur le personnage de l'Autodidacte, clerc de notaire grotesque qui a la volonté de lire tous les ouvrages de l'établissement dans l'ordre alphabétique. L'éloignement entre Antoine et le reste du monde se creuse et s'intensifie. L'absurdité des gens le révolte. Les bourgeois paradant à la sortie de l'église ou au musée le dégoutent.

Il rompt avec la société, laissant ainsi le champ libre à ses divagations qui l'emportent vers un état d'effroi et de paranoïa. La mer lui semble peuplée de bêtes monstrueuses. L'humanisme de l'Autodidacte le répugne : lors d'un déjeuner en sa compagnie, il ne peut s'empêcher de lui assener que le monde est stupide, que l'existence est inutile car personne ne se rend compte de l'existence des choses, des autres, ni même de la sienne propre. L'univers est absurde car sa loi absolue, c'est l'existence gratuite, dépourvue de sens. Et lorsqu'on se rend compte de cet état des choses, la nausée nous prend et perdure, jusqu'à ce qu'on referme les yeux.

Quand Roquentin assiste au renvoi de l'Autodidacte de la bibliothèque pour pédophilie, son écoeurement face à l'existence s'accroit. Après le départ d'Anny en Angleterre, il décide de s'installer un moment à Paris. Avant de quitter Bouville, il écoute une dernière fois son disque préféré, " Some of these days ", qui lui donne envie de réaliser une oeuvre d'art, seul moyen d'échapper à la nausée et d'appréhender correctement le réel. Il décide alors de rédiger un roman, une aventure qui " fasse honte aux gens de leur existence ".

Il faudrait que ce soit un livre : je ne sais rien faire d'autre. Mais pas un livre d'histoire : l'histoire, ça parle de ce qui a existé jamais un existant ne peut justifier l'existence d'un autre existant. Mon erreur, c'était de vouloir ressusciter M. de Rollebon. Une autre espèce de livre.