L'âge d'homme de Michel Leiris (Fiche de lecture)

Elle s'ouvre sur un portrait physique peu flatteur (tête trop grosse, jambes courtes, tendance aux rougeurs et à la peau luisante, dos vouté, aucune élégance) sans que l'on ne sache vraiment si l'auteur est lucide et objectif ou, au contraire, subjectif et impitoyable avec lui-même. Il évoque son activité principale, la littérature, raconte brièvement les voyages qu'il a réalisés et parle de son sentiment d'isolement, de déficience, ainsi que de sa sensation d'être piégé et rongé.

" L'infini ", " L'âme ", " Le sujet et l'objet ". Il décrit par exemple la façon dont il a découvert la notion de mort et de suicide, ou encore la façon dont il a pris conscience qu'il était exposé lui aussi au vieillissement, à l'inexorable marche du temps dans laquelle il était prisonnier.

Leiris parle des pièces de théâtre et des opéras qui ont marqué son enfance. Il croyait que quand quelqu'un mourait sur scène, on le tuait véritablement. Il lie ces souvenirs théâtraux à l'homme qu'il est devenu : " Aussi, dès cette époque, eus-je un goût très prononcé pour le tragique, les amours malheureuses, tout ce qui finit d'une manière lamentable, dans la tristesse ou dans le sang " (p. 46). Déjà lorsqu'il jouait avec ses frères, il endossait toujours le rôle de victime, de souffre-douleur.

On voit à travers le récit de ses fantasmes de jeunesse que son émotion sexuelle ne nait que dans des scénarios où on retrouve une idée de violence (Leiris raconte son trouble érotique à la vue d'une gravure représentant deux hommes se battant, p. 56) ou une idée de sacrifice. Il raconte par exemple à mots couverts s'être un jour masturbé sur les ruines d'un temple grec avec l'idée " qu'il s'agissait d'un sacrifice, avec tout ce que ce mot "sacrifice" comporte de mystique et de grisant " (p. 57).

Leiris développe encore les liens qui existent entre sacré et sexualité. Le sacré est présent dès lors qu'il y danger de mort pour la personne qui effectue le sacrifice : c'est la possibilité de la mort qui donne toute sa valeur au sacrifice. Ainsi, si le torero n'était pas potentiellement en danger de mort dans l'arène, la corrida ne serait qu'un simple combat. Sans cette dimension sacrée, Leiris ne conçoit pas la sexualité. Il évoque ensuite les cornes du taureau qui rentrent dans la chair du matador en les comparant au poignard que Lucrèce s'est enfoncé dans le corps. C'est ici la première apparition de la figure de Lucrèce, récurrente dans la suite du livre. Lucrèce, femme violée qui se donne ensuite la mort, est une figure centrale dans l'esprit de Leiris, qui semble rattacher toutes les femmes qu'il a connues soit à Lucrèce, soit à Judith.

Lucrèce, qui est pour Michel Leiris l'emblème des femmes blessées ou châtiées, a une figure complémentaire : Judith, qui représente les femmes blessantes, agressives et dangereuses. Plusieurs souvenirs d'enfance de Leiris mettent en scène des femmes dangereuses qu'il associe à la figure de Judith. Ces femmes sont des héroïnes de pièces de théâtre ou d'opéras, mais il peut aussi s'agir de personnes réelles. Par exemple, la " Tante Lise ", une cousine du père de Leiris, est associée à Judith car son métier de cantatrice la met en scène dans des pièces où elle joue des rôles de femmes agressives ou dangereuses.

Holopherne, à qui s'identifie Leiris, représente quant à lui les hommes blessés. Dans ce chapitre, Leiris raconte différentes rencontres avec la douleur physique, qu'il redoute. Il relate par exemple une visite chez le médecin : celui-ci l'avait trompé en l'invitant à venir jouer et lui avait coupé les végétations par surprise. La douleur et la duperie ont fortement marqué Leiris qui, après cet épisode, n'a plus vu toute promesse agréable ou tout plaisir que comme un divertissement destiné à le faire patienter avant que la souffrance n'arrive. Il évoque également une inflammation récurrente du sexe.