L'hôte secret de Joseph Conrad (Fiche de lecture)

Alors qu'il vient de prendre tout récemment le commandement d'un navire, un jeune capitaine se tient sur le pont et observe les alentours. Le bateau, attendant un vent favorable pour prendre la haute mer, est à l'ancre au point où le remorqueur l'a laissé : à l'embouchure du fleuve Ménam, dans le golfe de Siam, au large des côtes de la Thaïlande, " [i] mmobile au milieu d'une immense immobilité " (p. 8). Le jeune homme remarque, au loin, un autre bateau mouillé dans un groupe d'ilots et aborde ce sujet lors du repas qu'il prend avec ses deux officiers. Le lieutenant a appris du patron du remorqueur qu'il s'agit de la Séphora, un navire en provenance de Cardiff qui attend d'être remorqué le long du fleuve.

Le jeune capitaine surprend ses officiers en leur annonçant qu'il a décidé d'assurer lui-même la plus grande part du tour de garde. Il souhaite profiter de " ces heures solitaires de la nuit " (p. 12) pour faire connaissance avec un navire et un équipage qu'il ne connait pas encore, et pour se préparer psychologiquement à " la responsabilité nouvelle du commandement " (p. 13). Perdu dans ses pensées alors qu'il arpente le pont en pyjama, le jeune homme remarque que l'échelle de pilote n'a pas été remontée après le départ du remorqueur. Il commence alors à la remonter, mais rencontre une résistance. Se penchant par-dessus bord, il croit apercevoir " un cadavre décapité " (p. 15) accroché à l'échelle. Il s'agit en fait d'un nageur nu qui dit avoir des crampes après avoir nagé des heures. Les deux hommes échangent quelques paroles et, sur l'invitation tacite du capitaine, le nageur, un dénommé Leggatt, monte à bord. Le courant passe immédiatement entre les deux hommes. Le capitaine donne à Leggatt le même pyjama que le sien et l'installe dans sa cabine à l'insu de tous.

Dès leur rencontre, le capitaine ressent un fort sentiment d'identification avec celui qu'il appelle son " double " (p. 17 et suivantes). Leggatt lui raconte son histoire. Il est un des officiers de la Séphora et s'en est enfui à la nage, à la suite d'une " vilaine affaire " (p. 17). En pleine tempête et alors qu'il tentait une manoeuvre difficile, un marin particulièrement insolent avait refusé de suivre ses ordres. À bout de nerfs et dans une situation d'urgence, Leggatt avait frappé l'homme. Au cours de la lutte qui avait suivi, le lieutenant avait finalement étranglé le marin rebelle. Le capitaine, qui, effrayé, s'était tenu loin de l'action, l'avait alors relevé de ses fonctions et mis aux arrêts jusqu'à ce qu'il pût être livré aux autorités, à terre. Mais Leggatt, qui avait sauvé le bateau du naufrage, ne souhaitait pas être jugé par des notables qui ne comprendraient jamais la situation. C'est pourquoi, après six semaines, profitant d'une inattention d'un membre de l'équipage, il s'était jeté à l'eau pour nager en direction du navire qu'il avait aperçu du pont. C'est ainsi qu'il avait atteint l'échelle au bout de laquelle le capitaine l'avait trouvé.

Le jeune capitaine propose à Leggatt de rester caché dans sa cabine, mais doit reprendre son poste sur le pont et endosser le rôle qu'on attend d'un commandant, bien qu'il se sente " un étranger à bord " (p. 29). Bouleversé par l'arrivée de ce fugitif à bord et dans sa vie (" le double travail de mon esprit me tourmentait à me rendre fou ", p. 33) et effrayé qu'on ne le découvre, le capitaine se lance dans un jeu de cache-cache qui le fait agir étrangement au regard des hommes d'équipage méfiants. Parallèlement, le jeune homme " éprouve le besoin de s'affirmer " (p. 33).

La deuxième partie s'ouvre sur l'arrivée à bord du capitaine Archbold, commandant de la Séphora, à la recherche de son officier en fuite. Afin de protéger Leggatt, le jeune capitaine décide d'adopter une attitude peu coopérative (et légèrement truquée il se prétend dur d'oreille) qui le préserve toutefois d'un " mensonge direct " (p. 41). Puis, afin de se débarrasser définitivement de ce personnage borné et méfiant, il le piège en lui proposant de faire une visite de courtoisie de l'ensemble du navire. Leggatt se dissimule habilement et le capitaine Archbold est contraint de quitter le navire, bredouille.

Après ce départ, dans le calme parfait de la mer et au milieu d'hommes déstabilisés par l'attitude équivoque de leur capitaine, celui-ci retourne à sa conversation chuchotée avec son double et à leur jeu de dissimulation. Toutefois, leur " secrète association " (p. 45) ne peut durer plus longtemps, car le vent se lève et le bateau doit appareiller. Alors qu'ils traversent le Golfe de Siam, le passager clandestin est, à plusieurs reprises, sur le point de se faire découvrir par l'équipage. Leggatt parvient à convaincre le capitaine qu'il doit le laisser repartir comme il est venu : à la nage. Les deux hommes décident qu'il se rendra sur une ile près de la côte, Koh-ring. Mais, pour que le nageur puisse la rejoindre, le capitaine doit mener, de nuit, son navire le plus près possible de la terre. La manoeuvre est dangereuse et les hommes d'équipage commencent à s'inquiéter des ordres donnés par leur jeune capitaine.

Avant de faire passer Leggatt dans la soute d'où il pourra, par les sabords laissés ouverts, se laisser glisser dans l'eau quand le navire sera au plus près de la terre, le capitaine lui remet un peu d'argent et lui enfonce son propre chapeau sur la tête, pour le protéger du soleil. Une dernière étreinte et les deux hommes se séparent.