Les Katas ebook

M'interrogeant sur le kata, séquence de base de la pratique technique d'un art, j'ai commencé à découvrir la structure psychique et le type particulier d'identifications que recouvrait cette pratique. La définition du kata que j'avais retenue pour cette première analyse s'est avérée n'être que la manifestation la plus apparente d'une réalité sociale beaucoup plus large et difficile à saisir.

Le mot kata évoque donc à la fois l'image d'une forme idéale à reproduire et sa rigidité mais on ignore précisément à partir de quelle époque il fut utilisé pour désigner la fixation et la transmission de connaissances ayant pour base une technique gestuelle codifiée cet aspect historique n'étant pas le moins important, loin s'en faut.

Le kata s'inscrit en effet dans une longue tradition japonaise et ne peut se concevoir sans certaines références historiques. Des étapes fondamentales de l'histoire du Japon permettent d'expliquer des aspects de la notion de kata et éclairent des faits ou des comportements récents a priori incompréhensibles, voire insensés.

Au travers d'une question d'identité personnelle, j'ai voulu expliquer le rôle et l'importance du kata au Japon et pourquoi il concerne toujours les Japonais, pris entre une tradition dont la stabilité est manifeste et les transformations rapides de leur vie sociale.

A ce titre, l'exemple de Yamaoka Tesshu, guerrier du XIXe siècle, illustre parfaitement une image idéale de l'homme, encore présente dans la société japonaise contemporaine. Sa vie, entièrement dominée par la réalisation de kata et tout entière tendue vers la perfection, traduit une manière d'être et de penser indissociable de cette société.

Adolescent, ce récit m'avait bouleversé. Une telle mort me paraissait l'autre face de l'intensité de l'existence, liée à une question presque inévitable à cet âge : " Comment vivre ? " Par la suite, à la lecture de documents concernant Yamaoka Tesshu, je saisis combien était symbolique, pour les Japonais, cette image idéale de la vie et de la mort. La figure de Tesshu m'apparut alors plus concrète et plus forte, car son décès ne reflétait pas la sérénité d'un vieillard qui s'éteint doucement mais le départ d'un homme, taraudé par la maladie, qui fait face à sa douleur une totale maîtrise de soi et le prolongement, jusqu'au dernier instant, d'un art de vivre durement acquis, suivant des formes culturelles bien précises.

La vie de Yamaoka Tesshu fut consacrée à la voie du sabre, enrichie par la pratique du zen. Il naquit en 1836, sous le nom de Ono Tetsutaro, dans la famille Ono, riche famille de guerriers (bushi ou samouraï) mais il est plus connu sous son nom d'emprunt, Yamaoka Tesshu. Son père, grâce à sa richesse, lui fit donner l'éducation la plus accomplie d'un fils de guerrier, et Tetsutaro l'accepta avec une volonté exceptionnelle.