La Confusion des sentiments de Stefan Zweig (Fiche de lecture)

À l'époque, il est un jeune homme fougueux, éperdu de liberté, en mal de virilité et avide de conquêtes féminines. Il rejette les études qui l'étouffent. Mais un jour, son père découvre par hasard cette vie dissolue. Pour celui qui aspire à un avenir noble pour son fils, c'est une " honte ". Soudainement conscient de sa futilité, Roland abandonne ses joies terrestres pour se consacrer au terrain de l'esprit, en allant étudier dans une petite université de province, au centre de l'Allemagne. Il découvre, à peine arrivé, un professeur de philologie anglaise qui prononce une " harangue visiblement improvisée " sur Shakespeare. Il est " frappé au coeur ". Après ce cours, Roland cherche à parler au professeur, qui l'accueille chaleureusement et lui propose une " gentille chambrette " où dormir, située dans sa propre maison. Il accepte. Le soir, Roland dévore Shakespeare, plein de la passion contagieuse du professeur. Mais le lendemain, l'allocution raide et monotone de son professeur le déçoit, tout en l'intriguant : comment peut-il être si passionné un jour, et si vide le lendemain ?

Pour comprendre, il se rend à la bibliothèque pour lire les ouvrages que son professeur a écrits. Il les juge froids. Mais sa déception est de courte durée : l'après-midi, il retrouve le professeur passionné qu'il a connu. Roland commence à lui rendre visite tous les jours à 19h pour se confier, échanger. Il découvre rapidement qu'il est marié. Les deux hommes commencent à développer une relation privilégiée. Mais le jeune homme, après tant de jours exclusivement consacrés à l'étude, craque et part s'accorder " un jour de liberté et de récréation ". Il découvre la ville, en solitaire, il se met à nager. Il retrouve " le garçon impétueux d'auparavant ", et fait la rencontre d'une nageuse sportive et un brin provocante. Il fanfaronne, tente de la séduire, la suit. Jusqu'à ce qu'elle lui annonce que c'est la femme de son maitre. " Je dus devenir cramoisi de honte ", signale Roland.

Cet aparté tragi-comique le conduit à s'intéresser à la vie privée de son maitre, à laquelle il n'avait jusque-là jamais pensé. Pour lui, c'est " un être sublime, dégagé de toutes les vulgarités matérielles ". Il pressent que la relation entre son maitre et sa femme est " par trop bizarre (...) c'était le néant ", il comprend qu'il n'a aucun ami, qu'il est mystérieux, silencieux. Par ailleurs, il apprend à connaitre sa femme : pétillante, sportive, sensuelle, très peu concernée par les choses de l'esprit : son exact opposé ! Il noue avec elle une relation de camaraderie mais s'inquiète de son irritation quand il aborde le sujet de son époux. Tout ceci reste un véritable " mystère " et ses sens se mettent en éveil pour saisir la situation. Le comportement du professeur devient ambivalent : il passe brusquement d'un enthousiasme chaleureux à des paroles glaciales qui le désarment au plus haut point. " Plus je m'approchais de lui, plus il me repoussait avec dureté. " Le jeune étudiant découvre ensuite ses escapades de deux jours loin de sa maison, qui l'inquiètent et le plongent dans le désespoir. Il est saisi par une curiosité tenace qui l'empêche de dormir.

Dans une ultime tentative de rapprochement, Roland propose à son maitre de finaliser un ouvrage qu'il avait commencé un temps, L'Histoire du théâtre du Globe, en recopiant ce qu'il dicte. Le professeur cède. Ils se retrouvent tous les soirs lors de moments exaltants, animés par une " parole créatrice ". Mais cette relation l'isole de ses camarades et de ses professeurs qui le traitent froidement. Sa santé se dégrade, il est amaigri, blessé du comportement de son professeur qui ne le remercie que rarement. Roland se réfugie auprès de la femme de son maitre, essaie de trouver une explication au comportement de ce dernier. Puis, un jour la tension se relâche : il lui annonce que la première partie de leur ouvrage est achevée. Ils fêtent ça, boivent du vin. Roland " tremblait de joie ". Quand il sort chercher un tire-bouchon, il découvre que la femme écoutait à la porte. Mal à l'aise, il avorte la soirée et rentre chez lui. Le maitre vient lui rendre une visite maladroite, froide. Roland se sent au plus mal.

Néanmoins, grâce à la femme du professeur qui le secoue, il reprend du poil de la bête. Un soir, il se compromet, boit, roule des mécaniques avec des filles légères pour se venger. Le lendemain, il prend l'air avec elle. Mais la journée dérape et ils consomment leur relation. Dégouté par son propre comportement, Roland cherche à fuir. Alerté par son état, son maitre le retient. Il lui donne un dernier rendez-vous, le soir à 19h, au cours duquel il avoue à Roland être amoureux de lui. Face au silence prolongé de l'élève qui est parcouru d'un " frisson doux et effrayant ", le maitre lui raconte " sa vie " dans sa nudité la plus complète : son homosexualité déclarée dès sa jeunesse, sa honte, ses escapades nocturnes, son mariage illusoire, son amour pour Roland. Une fois le récit achevé, dans un moment très fort, il demande un baiser à Roland, un dernier avant qu'il le quitte pour de bon. Roland se tend vers lui et " ce fut un baiser comme je n'en ai jamais reçu d'une femme, un baiser sauvage et désespéré, comme un cri de mort ". Jamais plus, il ne l'a revu après ça.

C'est autour de lui que se construit le récit. Il est le narrateur et le protagoniste de l'histoire. Au début, il parle au présent, alors qu'il est devenu un professeur reconnu et apprécié par ses élèves. Puis, très vite, il évoque au passé ses souvenirs de jeunesse, non sans nostalgie. La confession qu'il fait est difficile pour lui. Il a conscience d'avoir longtemps enfoui l'homme qui l'a aidé à être ce qu'il est aujourd'hui. Pour lui rendre hommage, il décide de faire revivre " ce cher fantôme ".

Quand commence son récit, il parle de son rapport problématique à son père : " Il suffisait que mon père considérât la science comme sacrée pour que ma personnalité en germe n'y voit que de vaines subtilités. " Son père, un bourgeois fasciné par l'Université, l'encourage à faire des études. Mais lui, à l'époque, le refuse. C'est un jeune fougueux qui vrombit avec " autant d'agitation et d'impatience qu'une dynamo ". Le jour où le père découvre la vie dissolue de son fils, c'est un électrochoc pour Roland, qu'on sent apeuré. C'est la première révélation qu'il a dans sa vie : il doit se consacrer tout entier aux études.