Ebook Stress, traumatismes et insomnies | EDP Sciences

L'un des grands mérites de cet ouvrage est de porter la parole d'un soignant, un clinicien cherchant à comprendre et atténuer la souffrance, autant que faire se peut, comme il l'écrit. À cet égard, il se rebelle face à la stéréotypie de la pensée dominante concernant l'insomnie. L'insomnie n'est pas de sa part réfutée comme maladie mais, à juste titre, me semble-til, interprétée comme étant souvent le symptôme d'un dérèglement psychique, l'expression d'une vulnérabilité. On peut d'ailleurs faire remarquer que ce plaidoyer pour une approche de l'humain, qui refuse la simplification et les raccourcis du comportementalisme, pourrait s'appliquer à bien d'autres domaines du champ de la connaissance biomédicale. Il est frappant de constater que la complexité extrême du vivant que nous découvrons un peu plus chaque jour cohabite dans notre société avec des modes de raisonnement d'une nature rudimentaire, répétitive et appauvrissante. Sans doute est-il ainsi plus simple d'imaginer que le psychisme puisse être facilement accessible et se livrer sans retenue, dès lors qu'il est résumé ou catégorisé. Sans doute aussi, le fait de réfuter parfois l'évaluation au nom de la singularité de la relation soignante et de sa complexité, ne fait que pousser sur le devant de la scène des recettes bien léchées qui auraient raison du symptôme.

On peut quoi qu'il en soit constater que Jean-Pierre Fresco met son expérience clinique, probablement assez unique dans le domaine, au service d'une pensée libre, pragmatique, ancrée dans la réalité des patients qu'il rencontre et détachée de tout a priori conceptuel. Ce n'est pas le moindre des mérites de ce livre.

L'insomnie est le plus fréquent des troubles du sommeil. Si l'on utilise des critères stricts comme l'existence d'un sommeil altéré au moins trois fois par semaine associé à la présence de répercussions sur la vigilance diurne1, ce sont 19 % des sujets, tous âges confondus, qui sont atteints d'insomnie, soit un français sur cinq2. Cette prévalence augmente encore avec l'âge puisque c'est près d'une personne âgée sur trois qui est atteinte3. Dans les deux tiers des cas, il s'agit d'une insomnie passagère et, pour le tiers restant, il s'agit d'une insomnie chronique4. Pour 9 % des sujets de cette vaste population, il s'agit d'une insomnie sévère, chez des patients prenant régulièrement des traitements pour dormir ou souffrant de leur trouble toutes les nuits.

Les études épidémiologiques ont montré que les conséquences de l'insomnie en termes de morbidité sont loin d'être négligeables : au sein d'une population de sujets souffrant d'insomnie chronique, le risque de dépression est multiplié par 39, le risque de troubles anxieux par 6, le risque d'accidents par 4, le risque d'accidents de la circulation par 2,5, le risque d'accidents du travail par 1,5 et celui de maladies physiques par 25. Ces chiffres purement statistiques recouvrent d'ailleurs une réalité clinique autrement complexe comme nous le verrons (le lien entre anxiété, dépression et insomnie pour ne prendre que cet exemple étant particulièrement complexe et multi-directionnel, évidemment ininterprétable en termes de simples causalités directes). Une étude de 20026 a montré que comparés à un groupe de bons dormeurs, les insomniaques sévères avaient plus de problèmes médicaux, plus de consultations médicales, étaient hospitalisés deux fois plus souvent et prenaient plus de médicaments. Ils avaient un fort pourcentage d'absentéisme (deux fois plus que les bons dormeurs) et avaient également plus de problèmes au travail (diminution de concentration, difficultés dans l'accomplissement des tâches, accidents). Une récente étude norvégienne7 a également montré que l'insomnie à elle seule était un facteur indépendant de risque de congé maladie de longue durée.