Les animaux ont-ils une culture ?

Publié par : EDP Sciences

Les éléphants vont au cimetière, nous dit le chanteur. Les baleines chantent pour se parler. Les abeilles se parlent en dansant. Les chimpanzés fabriquent des outils. La corneille de Nouvelle-Calédonie, aussi. Et le chien est tellement intelligent…L'animal nous fascine parce que nous ne le comprenons pas. Il se parle, oui, mais ne nous parle pas. Alors nous parlons à sa place. Faute d'avoir accès à son esprit, nous plaquons nos comportements sur les siens pour tenter de les expliquer. Nous voulons donc l'animal intelligent parce qu'il fait des choses qui ne sont pas toutes des réflexes. Pour le scientifique, c'est plus compliqué. S'il sait ce qu'est un langage, il n'a aucune définition exclusive de l'intelligence. S'il peut décrire rigoureusement un comportement, il n'a pas beaucoup de moyens de savoir si l'animal en a conscience. Alors, lorsque Damien Jayat lui demande « et la culture, les animaux en ont ? », la réponse est embarrassée. Beaucoup de primates, de cétacés et d'oiseaux se comportent comme s'ils avaient appris à le faire. Pas les espèces, mais des populations : d'un endroit à l'autre, d'une population à l'autre, le comportement, le langage, est différent. N'est-ce pas là la preuve qu'une culture existe chez certains animaux ? Dans ce livre, Damien Jayat expose des cas et les analyse en suivant la démarche contradictoire des scientifiques. Avec beaucoup d'humour, une fort belle plume et une gentille ironie, il remet tout en cause et, en premier lieu, notre prééminence humaine. Nous ne sommes sans doute pas seuls à être… cultivés. « On n'hérite pas que des gènes, une maison de campagne et quelque vieille bague de mariage. On hérite aussi un ensemble de règles, de savoir-faire, de traditions, on hérite toute une culture en fait. À notre manière. Comme le font un si grand nombre d'animaux… » Un voyage troublant et joyeux à la rencontre de notre condition animale…


Consulter un extrait ci-dessous

Voici un livre frais qui, tout en étant facile à lire, fait magistralement le point sur l'état actuel des recherches concernant l'existence de transmissions culturelles dans le monde animal, humains inclus. Le discours est direct et ne se prive pas de confronter les opinions souvent très contradictoires des différentes écoles de pensée sur le sujet. De plus, ce livre est très bien documenté. En particulier, son originalité réside dans le fait qu'il intègre les récents développements de l'écologie comportementale, autrement dit l'étude du comportement sous un angle évolutif. Étonnamment, l'écologie comportementale ne s'est réellement approprié le sujet de la culture animale que relativement récemment. Cette discipline à laquelle j'appartiens vise à comprendre les forces de sélection qui ont conduit à l'évolution des comportements que l'on observe aujourd'hui. Il s'agit donc de comprendre comment un comportement donné affecte la capacité des individus qui l'expriment à avoir des descendants. C'est cette capacité à avoir des descendants qui dirige le processus de sélection et donc l'évolution par sélection naturelle.



Outre le fait que c'est là une affirmation qui demande au minimum à être documentée et sérieusement argumentée, il faut rappeler que ce genre de débat est récurrent en sciences. Nous rechignons à utiliser une terminologie trop évidemment adaptée à l'humain. C'est le cas de nombreux termes comme altruisme, égoïsme, ou bien intérêt, ou la notion de coût et bénéfice, ou encore coopération, ou cocufiage... et la liste pourrait être bien plus longue. Il me semble, pour avancer dans le débat de l'application aux animaux de mot inventés pour qualifier le comportement humain, qu'il est bon de se rappeler que classiquement en français on utilise l'expression " c'est humain " pour justement parler de notre animalité. Il est en effet frappant de constater que, chaque fois que l'on utilise cette expression, on peut la remplacer sans trahir le message par " c'est animal ". L'expression " c'est humain " sert en fait à reconnaître notre animalité. En d'autres termes, tous les mots que nous avons inventés pour qualifier nos comportements humains véhiculent en fait les subtilités de notre animalité. Ils sont donc par construction conçus pour décrire le comportement animal. De ce fait, il n'y a aucune raison de ne pas les utiliser pour qualifier le comportement animal ; sauf à refuser notre animalité et continuer à vouloir maintenir une discontinuité entre l'animal et l'humain. Au plan philosophique, ne pouvant être juge et partie, nous sommes, nous humains, les moins bien placés pour juger d'une éventuelle discontinuité fondamentale entre nous et le reste du monde vivant, et nous devrions faire preuve d'un peu plus d'humilité.


Ceci étant acquis, nous pouvons revenir à la question de savoir si l'on peut appliquer le mot culture chez les non-humains. En fait, la question se résume à savoir si les processus observés chez l'humain et l'animal sont de nature différente. Pour y répondre, il faut revenir à l'essence même du phénomène culturel, quel que soit le type de définition que l'on utilise. L'essence de la culture est dans la transmission d'informations ou de savoirs entre individus. Le phénomène culturel repose donc sur l'apprentissage à partir des autres, ce que les scientifiques appellent l'apprentissage social. Vouloir nier le terme de culture pour qualifier ces processus c'est un peu comme si, sous prétexte que nous avons aujourd'hui inventé des voitures très complexes, bourrées d'électronique de toute sorte, on refusait alors l'utilisation du mot voiture pour qualifier un véhicule sans électronique, ou sans embrayage, ou sans moteur, ou même une voiture tirée par des chevaux. Il n'en reste pas moins qu'historiquement le mot voiture a été inventé pour qualifier une plateforme sur roues permettant de transporter à moindre effort de lourdes charges. Ce qui définit une voiture c'est donc la roue. Et le fait que nous ayons décliné ce concept de voiture à l'infini pendant des siècles jusqu'à en faire nos véhicules d'aujourd'hui ne changera rien à cette définition fondamentale. Dans le cas de la culture, tout se passe comme si l'histoire avait commencé par la fin, c'est-à-dire une voiture bourrée d'électronique. Définir la culture en fonction des caractéristiques de la culture humaine occidentale d'aujourd'hui revient à définir une voiture comme un véhicule bourré d'électronique, ce qui vous en conviendrez serait abusif. En d'autres termes, cela conduirait à refuser de revenir à l'essence même de ce qu'est le processus culturel, c'est-à-dire au risque de me répéter, la transmission d'informations, de comportements ou de savoirs entre individus. Nul doute que les cultures humaines observées aujourd'hui sont le résultat de fantastiques développements de ce concept de base, à tel point que, comme pour les voitures, il n'est pas évident aujourd'hui de faire le lien entre ces diverses formes d'un même concept fondamental.


Nul doute non plus que la transmission culturelle a pris une importance majeure dans l'évolution de l'humanité en interaction avec les autres formes d'hérédité. Mais, là non plus, il ne faut pas pour autant en déduire que le phénomène culturel est négligeable en dehors de l'humain. L'hérédité, c'est-à-dire le transfert d'informations entre générations, est l'essence même du vivant. Le point fondamental, trop souvent ignoré par les scientifiques, est que l'apprentissage social fait émerger une autre forme d'hérédité. Comme l'avait si bien compris Darwin il y a 150 ans, dès lors qu'un système permet une hérédité il devient ouvert au processus de sélection naturelle et participe donc à l'évolution. C'est là une vision un peu iconoclaste dans la biologie d'aujourd'hui qui est devenue " génocentrique " à l'excès. Cela ne change pas moins que toutes les formes d'hérédité participent à l'évolution. C'est d'ailleurs là une des grandes découvertes, je dirais même la révolution, de la biologie contemporaine : l'hérédité et donc l'évolution ne se résument pas à une transmission de gènes entre générations. De nombreuses autres formes d'informations sont transmises de génération en génération et façonnent l'évolution.


Vous aurez compris qu'à mes yeux ce livre a de grandes qualités. Il résume de manière pédagogique et divertissante ce que l'on connaît de ce système d'hérédité que constitue la culture animale et humaine. Il est aussi particulièrement bien documenté. De ce fait, il me semble que ce livre peut être utile au grand public, éclairé ou non, mais aussi aux chercheurs et spécialistes recherchant des documents pédagogiques pour sensibiliser leurs étudiants. C'est là une réussite en soi. J'espère qu'après avoir atteint la dernière page, le lecteur aura compris que les enjeux en termes de savoir sur l'évolution qui sont derrière ce livre présenté de manière en apparence légère, participent en fait à l'un des débats les plus chauds de la biologie contemporaine pour les décennies à venir.



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Informations
Date :

11/07/2011


Langue :

Français


Pages :

221


Consultations :

5222


Note :
Format :

PDF / EPUB


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Résumé

Auteur : Jayat Damien


Editeur : EDP Sciences


Parution : 2010

ISBN : 9782759809073

Tags : Ebook, animaux, culture
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